Textes philosophiquesMichel Henry Regard esthétique et regard de téléspectateur"Que la télévision soit la fuite sous la forme d'une pro-jection dans l'extériorité, c'est ce qu'on exprime en disant qu'elle noie le spectateur dans un flot d'images. Mais l'art, les arts plastiques et, de même, la littérature, la poésie ne nous pro-posent-ils pas eux aussi des images? Seulement l'image esthétique n'est, dans sa subjectivité, que l'auto-accroissement de celle-ci et ainsi l'essence même de la vie en son accomplissement: la culture. C'est donc dans sa relation interne avec la vie subjective et comme ayant son site véritable en celle-ci qu'il convient d'apprécier à son tour l'image télévisée: elle procède de l'ennui. L'ennui est justement la disposition affective en laquelle se révèle à soi-même l'énergie inemployée. Dans l'ennui à chaque instant une force se lève, se gonfle d'elle-même, se tenant prête, disposée à l'usage qu'on voudrait en faire. Mais que faire? "Je ne sais pas quoi faire". Aucune des voies hautes tracées par la culture et donnant licence à cette force de se déployer, à la vie de s'accroître d'elle-même et d'accomplir son essence - aucune de ces voies ne se présente à l'ennui pour que, s'engageant en elle dans un faire donc et dans l'épreuve de son souffrir, il se décharge de ce que l'inaction a d'oppressant"... "je ne sais pas quoi faire" veut dire: à chaque instant, la force est là, s'engageant dans son être - mais aucune des pratiques permettant la poursuite de cet engagement, aucune des voies offertes par la culture. Il s'agit alors pour cette force qui ne s'accomplit pas de s'oublier en quelque sorte, elle et son pathos, et cela dans la fuite hors de soi - pour autant que dans cette extériorité quelque chose se lève dans le regard à chaque instant et le captive: l'image télévisée. A chaque instant, cela veut dire maintenant que dans le temps du monde ce qui s'y montre et qui, conformément à la loi de ce temps, disparaît tout aussitôt doit être aussi à tout moment remplacé par quelque chose d'autre, d'aussi inconsistant et d'aussi irréel, d'aussi vide que lui". La Barbarie, p. 190-191 et 192.
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