Textes philosophiques
Krishnamurti l'esprit conditionné et la peur
Question : Comment peut-on être sûr que l'esprit est non-conditionné
puisqu'il y a une possibilité d'illusion ?
Krishnamurti : Ne nous occupons pas de la certitude que l'esprit soit
non-conditionné. Soyons plutôt conscients des limites de la pensée-émotion.
Question : Il y a une grande différence entre être conscient de son
conditionnement et s'imaginer que l'on n'est pas conditionné.
Krishnamurti : Bien sûr, c'est évident. Enquêter sur l'état non-conditionné
est terriblement futile pour un esprit qui est limité. Nous devons nous
préoccuper de ces causes qui tiennent prisonnière la pensée-émotion.
Question : Nous savons qu'il y a le réel et l'irréel et nous devons aller de
l'irréel vers le réel.
Krishnamurti : C'est sûrement une autre forme de conditionnement. Comment
savez-vous qu'il y a le réel?
Question : Parce qu'il est là.
Krishnamurti : Vous avez cessé de réfléchir, si je puis m'exprimer ainsi,
quand vous dites qu'il est là.
Question : Je pense que nous réalisons constamment que nous sommes
conditionnés puisque nous sommes toujours dans la souffrance et le conflit.
Krishnamurti : Donc, le conflit, la souffrance, la tension dans les
relations indiquent le conditionnement. Il y a peut-être de nombreuses
causes au conditionnement, mais êtes-vous au moins conscient de l'une
d'entre-elles ?
Question : La peur et le désir sont les causes qui nous limitent.
Krishnamurti : Quand vous affirmez cela, êtes-vous conscient que la peur et
le désir amènent le conflit et la souffrance ? Quand vous dites que la peur
conditionne votre vie, êtes-vous conscient de cette peur ? Ou bien est-ce
parce que vous l'avez lu ou que vous m'avez entendu le dire, que vous
répétez : "La peur est un conditionnement" ? La peur n'existe pas toute
seule, mais seulement en rapport avec quelque chose. Mais quand vous dites
que vous êtes conscient de la peur, est-ce dû à quelque chose à l'intérieur
ou à l'extérieur de vous ? On a peur d'un accident, d'un voisin ou d'une
relation immédiate ou d'une réaction psychologique, etc. Parfois dans la
vie, ce sont les choses extérieures qui nous font peur et si nous pouvons
nous en libérer, nous pensons que nous pourrons ne plus avoir peur.
Pouvez-vous vous libérer de votre voisin ? Vous pouvez échapper à un certain
voisin mais où que vous vous trouviez, vous êtes toujours en relation avec
quelqu'un. Vous pouvez créer une illusion dans laquelle vous vous retirez ou
bâtir un mur entre vous et votre voisin pour vous protéger. Vous pouvez vous
séparer en utilisant les divisions sociales, la vertu, les croyances, les
possessions et ainsi vous libérer de votre voisin. Mais ce n'est pas la
liberté. Et puis il y a la peur des maladies contagieuses, des accidents,
etc. et de nouveau, vous prenez de nouvelles précautions, sans trop les
exagérer. Cette volonté de survivre, d'être satisfait, et cette volonté de
continuer -- voilà la racine même de la peur.
Savez-vous tout cela ? Dans l'affirmative, qu'entendez-vous par "savoir" ?
Ce savoir n'est-il qu'intellectuel, une sorte de mot-image, ou bien en
êtes-vous conscient intégralement, émotionnellement ? Vous connaissez la
peur, cette réaction quand votre résistance est affaiblie, quand les murs
qui servent à vous protéger ont été fracturés, alors vous êtes conscient de
la peur et votre réaction immédiate est de recommencer à colmater ces murs,
pour les renforcer afin d'être en sécurité.
Troisième causerie,
Ommen,
1937.
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