Textes philosophiques

Nicolas Machiavel    critique de la raison rétrospective en histoire


    « Tous les hommes louent le passé et blâment le présent, et souvent sans raison. Ils sont tellement férus de ce qui a existé autrefois, que non seulement ils vantent les temps qu’ils ne connaissent que par les écrivains du passé, mais que, devenus vieux, on les entend prôner encore ce qu’ils se souviennent d’avoir vu dans leur jeunesse. Leur opinion est le plus souvent erronée, et pour diverses raisons. La première, c’est qu’on ne connaît jamais la vérité tout entière sur le passé. On cache le plus souvent les événements qui déshonoreraient un siècle ; et quant à ceux qui sont faits pour l’honorer, on les amplifie, on les raconte en termes pompeux et emphatiques. La plupart des écrivains se laissent si bien subjuguer par le succès des vainqueurs, que, pour rendre leurs triomphes plus éclatants, non seulement ils exagèrent leurs succès, mais la résistance même des ennemis vaincus ; en sorte que les descendants des uns et des autres ne peuvent s’empêcher de s’émerveiller devant de tels hommes, de les louer et de les aimer. La seconde raison, c’est que les hommes ne haïssent que par crainte ou par envie, deux mobiles qui meurent avec les événements passés, lesquels ne peuvent inspirer ni l’une ni l’autre. Mais il n’en est pas ainsi des événements où nous sommes nous-mêmes acteurs, ou qui se passent sous nos yeux : la connaissance que nous en avons est entière ; rien ne nous en est dérobé. Ce que nous y apercevons de bien est tellement mêlé de choses qui nous déplaisent, que nous sommes portés à les juger plus sévèrement que le passé, quoique souvent le présent mérite réellement plus de louanges et d’admiration. »".

Discours sur la première décade de Tite Live, II, avant propos, in Œuvres Complètes, Pléiade, pp. 509-510

Indications de lecture:

Liste. Ce texte de Machiavel porte sur la nostalgie ; selon lui, depuis toujours les hommes ont regretté leur enfance et le passé. Mais Machiavel perçoit dans cette nostalgie du passé, qui est une constante historique, une illusion. En effet, on a tendance à idéaliser le passé car il est un objet imaginaire, non-réel : on ne peut que se le représenter.

La première raison à cette illusion qui idéalise le passé tient à ce que l’on ne connaît jamais le passé tel qu’il a réellement été ; en effet, même si on l’a vécu, on le déforme en mémoire, on ne garde de lui que ce que l’on veut bien en garder. La mémoire reste subjective (voir les problèmes que cela pose pour le travail de l’historien par exemple).

La seconde raison tient aux affects. Ainsi la crainte et l’envie sont les deux fondements de la haine. La crainte et l’envie sont historiques : dans la mesure où ces deux affects se définissent par leurs objets, ils sont liés à l’histoire (on n’envie pas la vie de Kant par exemple, il en va de même pour la crainte, on ne craint plus Staline). L’illusion a l’avantage du passé : le présent nous présente ses ombres et ses lumières, tandis que le passé nous laisse seulement la lumière. Par exemple, lorsque l’on pense à Louis XIV on pense au roi soleil et à Versailles, mais pas immédiatement à l’expulsion des protestants…

Texte préparé par Stéphanie Combabessou.

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