Textes philosophiquesNisargadatta Maharaj La non-causalité et l'inconditionné«Q : Vous dites constamment que les événements sont non causés, une chose arrive et aucune cause ne peut lui être attribuée. Chaque chose a certainement une ou plusieurs causes. Comment puis-je comprendre le non-conditionnement des choses ? M : Du point de vue le plus élevé le monde est non conditionné. Q : Mais quelle est votre expérience personnelle ? M : Tout est non conditionné. Le monde n'a pas de cause. Q : Je ne me pose pas de questions au sujet des causes qui conduisirent à la création du monde. Qui a vu la création du monde ? Il peut même ne pas avoir eu de commencement, être existant de toute éternité. Mais je ne parle pas du monde. Je considère le monde comme existant, en quelque sorte. Il contient tant de choses. Chacune, certainement, doit avoir une ou plusieurs causes. M : Dès l'instant où vous vous créez un monde dans le temps et l'espace, régi pas la causalité, vous êtes contraint de chercher des causes, et de les trouver. Vous posez une question et vous en imposez la réponse ! Q : Ma question est très simple : je vois toutes sortes de choses et j'entends que cela implique que chacune d'entre elles doit avoir une ou plusieurs causes. Vous dites que, de votre point de vue elles sont non causées. Mais pour vous rien n'a d'existence, la question de causalité ne se pose donc pas. Vous semblez cependant admettre l'existence des choses tout en leur déniant tout déterminisme. C'est ce que je n'arrive pas à saisir. Quand vous acceptez l'existence des choses, pourquoi rejeter leurs causes ? M : Je ne vois que la conscience et je sais que tout n'est que conscience, comme vous savez que le film sur l'écran n'est que lumière. Q : Les mouvements de la lumière ont bien une cause. M : La lumière ne bouge pas. Vous savez bien que le mouvement est illusoire, une suite d'interception et d'éclairement du film. Ce qui bouge, c'est le film qui est le mental. Q : Ceci ne rend pas le film sans cause. Le film est là, les acteurs, les techniciens, le metteur en scène, le producteur, les différents fabricants sont là. Le monde est régi par la causalité. Toutes les choses sont liées. M : Naturellement, les choses sont liées. Chaque chose a donc des causes innombrables. L'univers entier contribue à la moindre des choses. Une chose est ce qu'elle est parce que l'univers est ce qu'il est. Voyez-vous, vous vous occupez de bijoux, moi d'or. Entre deux bijoux il n'y a pas de relations causales. Si vous faites fondre un bijou pour en faire un autre, il n'y a pas de relation causale entre les deux. Le facteur commun, c'est l'or. Mais vous ne pouvez pas dire que l'or est la cause. On ne peut pas l'appeler une cause car en lui-même il ne cause rien. Il est réfléchi dans le mental comme « je suis », comme la forme et le nom particulier du bijou. Cependant tout n'est que de l'or. De la même façon, la réalité rend chaque chose possible et cependant, rien de ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, son nom, sa forme, ne vient de la réalité. Mais pourquoi se soucier autant de la causalité ? Quelle importance ont les causes quand les choses sont transitoires ? Laissez venir ce qui vient et aller ce qui va, pourquoi saisir les choses et en rechercher leurs causes? Q : D'un point de vue relatif toute chose doit avoir une cause. M : De quelle utilité peut vous être le point de vue relatif ? Vous pouvez voir les choses dans l'absolu, pourquoi régresser au relatif ? Avez-vous peur de l'absolu ? Q : J'ai peur. J'ai peur de m'endormir sur mes prétendues certitudes absolues. L'absolu n'aide pas à mener une vie décente. Quand vous avez besoin d'une chemise vous l'achetez, d'un vêtement, vous allez chez le tailleur, etc. M : Tout ce discours fait preuve d'ignorance. Q : Et quelle est l'opinion du sage ? M : Il n'y a que la lumière et la lumière est tout. Tout le reste n'est qu'images faites de lumière. La lumière est dans l'image et l'image est dans la lumière. Vie et mort, soi et non-soi, abandonnez toutes ces idées. Elles ne vous sont d'aucune utilité. Q : De quel point de vue niez-vous la causalité ? Du point de vue relatif l'univers est la cause de toutes choses. Du point de vue absolu il n'y a aucune chose. M : Dans quel état posez-vous la question ? Q : Dans l'état de veille quotidien, le seul dans lequel toutes ces discussions ont lieu. M : Tous ces problèmes se manifestent dans cet état parce que telle est sa nature. Mais vous n'êtes pas toujours dans cet état. Que pouvez-vous réaliser de bon dans un état où vous tombez et d'où vous émergez indépendamment de votre volonté ? En quoi cela peut-il vous aider de savoir qu'il y a une relation cause-effet dans les choses, ainsi qu'il vous semble dans votre état de rêve ? Q: Le monde et l'état de veille naissent et existent conjointement. M : Quand le mental est calme, absolument silencieux, l'état de veille n'existe plus. Q. Des mots comme Dieu, l'univers, la totalité, l'absolu, le Suprême ne sont que bruits dans l'air puisqu'on ne peut pas agir sur eux. M : Vous posez là des questions dont vous seul avez la réponse. Q : Ne me repoussez pas ainsi. Vous parlez si volontiers au nom de la totalité, de l'univers et d'autres choses toutes aussi imaginaires ! Elles ne peuvent venir vous interdire de parler en leur nom. Je hais ces généralisations irresponsables ! Vous êtes enclin à les personnaliser ! Sans causalité il n'y aurait pas d'ordre et aucune action réfléchie ne serait possible. M : Voulez-vous connaître toutes les causes de tous les événements ? Est-ce possible ? Q: Je sais que c'est impossible. Tout ce que je veux savoir, c'est s'il y a des causes pour chaque chose et si on peut peser sur les causes et par là modifier l'événement. M : Pour agir sur les événements vous n'avez pas besoin d'en connaître les causes. Quel moyen détourné de faire les choses ! N'êtes-vous pas la source et l'achèvement de tout événement ? Contrôlez-le à la source. Q : Tous les matins je prends le journal et je lis avec consternation les misères du monde : pauvreté, haines, guerres, qui continuent sans relâche. Le sujet de mes questions, c'est la misère, sa cause et ses remèdes. N'écartez pas la question en me disant que c'est du bouddhisme ! Ne me donnez pas d'étiquettes. Votre insistance sur la non-causalité enlève tout espoir de voir le monde jamais changer . M : Vous êtes dans la confusion parce que vous croyez être dans le monde et non que le monde est en vous. Qui vint le premier, vous ou vos parents ? Vous imaginez être né à un certain endroit, à une certaine heure, que vous avez un père et une mère, un corps et un nom. Voilà votre péché et votre fléau ! Vous pourriez certainement changer le monde si vous y travailliez. Travaillez donc. Qu'est-ce qui vous en empêche ? Je ne vous ai jamais découragé. Causes ou pas causes, vous avez fait ce monde, vous pouvez le changer. Q. Un monde non-causé est entièrement hors de mon contrôle. M : Au contraire, vous avez tout pouvoir de changer un monde dont vous seul êtes la source et la base. Ce qui fut créé peut toujours être détruit et re-créé. Tout se passera comme vous le désirez pourvu que vous le vouliez vraiment. Q : Tout ce que je veux savoir c'est comment traiter des misères du monde. M : Vous les avez créées avec vos désirs et vos peurs, vous en êtes chargé. Tout est dû à ce que vous avez oublié votre propre être. Après avoir prêté la réalité au film, sur l'écran, vous aimez ces gens, vous souffrez pour eux et vous cherchez à les sauver. Cela est faux. Vous devez commencer par vous même. Il n'y a pas d'autres voies. Bien entendu, travaillez ! Cela ne fait pas de mal, de travailler. Q. : Votre univers semble contenir toutes les expériences possibles. L'individu trace sa voie au travers et expérimente des états plaisants et déplaisants. Ceci donne lieu à l'interrogation et à la recherche, ce qui élargit la vision et permet à l'individu de transcender son monde, étroit et créé par lui-même, limité et egocentré. Ce monde personnel peut être changé avec du temps. L'univers est hors du temps et parfait. M : Prendre l'apparence pour la réalité, c'est un péché mortel et la cause de toutes les calamités. Vous êtes Pure Connaissance et conscience (awareness-consciousness) qui se répand dans tout, éternelle et infiniment créatrice. Tout le reste appartient au temps et à l'espace. N'oubliez pas ce que vous êtes. En attendant, travaillez de tout votre cœur. Le travail et la connaissance devraient aller la main dans la main". Je suis, Les deux Océans, entretiens avec Maurice Frydman, trad. française, s. Josquin, p.54-57.
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