Textes philosophiques

Nisargadatta Maharaj    plaisir, douleur et béatitude


Q : Si la réalité est en soi béatitude, le plaisir doit être, d'une certaine façon, en relation avec elle.

M : Ne raisonnons pas selon une logique verbale. La béatitude de la réalité n'exclut pas la souffrance. Par ailleurs vous ne connaissez que le plaisir, non la béatitude du pur être. Il nous faut donc examiner le plaisir sur son propre plan. Si vous vous étudiez dans vos moments de plaisir ou de douleur, vous constaterez, invariablement, que ce n'est pas la chose en elle-même qui est plaisante ou pénible, mais la situation dont elle fait partie. Le plaisir se trouve dans la relation qui s'établit entre celui qui jouit et ce dont il jouit. Et son essence en est l'acceptation. Quelle que soit la situation, si elle est acceptable, elle est plaisante ; si elle ne l'est pas, elle est pénible. Ce qui la rend acceptable n'a pas d'importance ; la cause peut en être physique ou psychologique, ou indiscernable ; l'acceptation est le facteur déterminant. Inversement, la souffrance est due à la non-acceptation.

Q : Il n'est pas possible d'accepter la douleur.

M : Pourquoi pas ? N'avez-vous jamais essayé ? Essayez, et vous découvrirez dans la douleur une joie que le plaisir ne vous donnera jamais, pour la simple raison que l'acceptation même de la souffrance vous conduira plus loin que ne peut le faire le plaisir. Il est dans la nature du moi personnel de perpétuellement poursuivre le plaisir et d'éviter la douleur. La cessation de cet enchaînement aboutit à l'extinction du moi. L'extinction du moi, de ses désirs et de ses peurs, vous permet de retourner à votre véritable nature, à la source du bonheur et de la paix. Le désir perpétuel du plaisir est la réflexion de l'harmonie intérieure intemporelle. C'est un fait d'observation qu'on ne devient conscient de soi que quand on est pris dans un conflit entre le plaisir et la souffrance, ce qui exige choix et décision. C'est ce conflit du désir et de la peur qui est la cause de la colère, le grand destructeur du bon sens et de la vie. Quand la douleur est acceptée pour ce qu'elle est, une leçon et un avertissement, quand on l'a soigneusement examinée, la différence entre le plaisir et la douleur s'efface, et l'un et l'autre deviennent une expérience - douloureuse si on résiste, agréable si elle est acceptée.

Q : Conseillez-vous donc de fuir le plaisir et de rechercher la douleur ?

M : Non, pas plus que de poursuivre le plaisir et d'éviter la douleur. Acceptez-les tous deux comme ils se présentent, jouissez de l'un et de l'autre tant qu'ils durent, laissez-les aller quand ils le doivent.

Q : Comment puis je jouir de la douleur ? Une douleur physique demande que nous réagissions.

M : Naturellement, la souffrance mentale aussi. La béatitude n'est pas dans le refus de la douleur, dans le repli sur soi ni dans le fait de s'en détourner, mais dans une attention totale à celle-ci. Tout bonheur vient de la conscience. Plus nous sommes conscients, plus profonde est la joie. L'acceptation de la douleur, la non-résistance, le courage et l'endurance font naître des sources profondes et inépuisables de bonheur réel, de véritable béatitude

Q : Pourquoi la douleur serait-elle plus efficace que le plaisir ?

M : Le plaisir est facilement accepté alors que le moi rejette de toutes ses forces la douleur. Puisque l'acceptation de la douleur est la négation du moi, et que le moi est un obstacle sur le chemin du vrai bonheur, quand vous acceptez de tout votre coeur la douleur, vous ouvrez les vannes au bonheur.

Q. : L'acceptation de la souffrance agit-elle de la même façon ?

M : Il est facile d'amener la douleur au centre de la conscience. En ce qui concerne la souffrance, ce n'est pas aussi simple. Il ne suffit pas de se concentrer sur la souffrance car la vie mentale, telle que nous la connaissons, est un flot continu de souffrance. Pour atteindre les couches profondes de la souffrance, il faut parvenir à ses racines et mettre à nu le vaste réseau souterrain où la peur et le désir sont étroitement mêlés, où s'opposent, s'entravent et se détruisent l'un l'autre les courants d'énergies de la vie.

     Je suis, Les deux Océans, entretiens avec Maurice Frydman, trad. française, s. Josquin, p.284-286.

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