Textes philosophiques

Malebranche    imagination et puissance rhétorique


    " Cet avantage consiste dans une facilité de s'exprimer d'une manière forte et vive, quoiqu'elle ne soit pas naturelle. Ceux qui imaginent fortement les choses, les expriment avec beaucoup de force, et persuadent tous ceux qui se convainquent plutôt par l'air et par l'impression sensible, que par la force des raisons. Car le cerveau de ceux qui ont l'imagination forte recevant, comme l'on a dit, des traces profondes des sujets qu'ils imaginent, ces traces sont naturellement suivies d'une grande émotion d'esprits, qui dispose d'une manière prompte et vive tout leur corps pour exprimer leurs pensées. Ainsi l'air de leur visage, le ton de leur voix, et le tour de leurs paroles animant leurs expressions, préparent ceux qui les écoutent et qui les regardent, à se rendre attentifs, et à recevoir machinalement l'impression de l'image qui les agite. Car enfin un homme qui est pénétré de ce qu'il dit, en pénètre ordinairement les autres, un passionné émeut toujours; et quoique sa rhétorique soit souvent irrégulière, elle ne laisse pas d'être très persuasive parce que l'air et la manière se font sentir, et agissent ainsi dans l'imagination des hommes plus vivement que les discours les plus forts, qui sont prononcés de sang-froid : à cause que ces discours ne flattent point leurs sens, et ne frappent point leur imagination. Les personnes d'imagination ont donc l'avantage de plaire, de toucher et de persuader, à cause qu'ils forment des images très vives et très sensibles de leurs pensées. Mais il y a encore d'autres causes qui contribuent à cette facilité qu'ils ont de gagner l'esprit. Car ils ne parlent d'ordinaire que sur des sujets faciles, et qui sont de la portée des esprits du commun. Ils ne se servent que d'expressions et de termes, qui ne réveillent que les notions confuses des sens, lesquelles sont toujours très fortes et très touchantes :ils ne traitent des matières grandes et difficiles, que d'une manière vague et par lieux communs, sans se hasarder d'entrer dans le détail, et sans s'attacher aux principes; soit parce qu'ils n'entendent pas ces matières; soit parce qu'ils appréhendent de manquer de termes, de s'embarrasser, et de fatiguer l'esprit de ceux qui ne sont pas capables d'une forte attention".

  De la recherche de la vérité, De l'imagination, partie 3.

Indications de lecture

 

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