Textes philosophiquesMichel Serres sagesse des sensSagesse. Que ton corps ne devienne ni statue ni tombeau, cadavre avant l'agonie, mort avant de mourir ; évite toute anesthésie, drogue, narcotique ; prends garde à la torpille ou torpeur de langue et de philosophie ; fuis les cultures de prohibition. La sagesse émane du corps : le monde donne la sapience et les sens la reçoivent, respecte la donnée gracieuse, accueille le don. Ethique. Immémoriale morale de la gratuité. Les données sensorielles, sans échange, se reçoivent comme un don. La grâce pénètre les pertuis du corps ouvert, elle l'inonde de sapience. La statue se ferme d'octrois ou guichets. Élevage. Commence, petit d'homme, par les pertuis ouverts, oeil, narine, pore, lèvre, pavillon, tu parleras toujours assez tôt, assuré que tu parleras. Bien assez, toujours trop. Affine ta peau, crains le marbre envahissant, aie peur de la raideur. Réveille ta barde barbare, si rude et dure que tu te battras un jour. Assez tôt, toujours trop. Deviens subtil, sapient, sagace, aigu, lucide, fin. Les cinq sens, Grasset, p. 178-179.
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