Textes philosophiques

Simone Weil     l'attention et l'intelligence


     «La volonté, celle qui au besoin fait serrer les dents et supporter la souffrance, est l'arme principale de l'apprenti dans le travail manuel. Mais contrairement à ce que l'on croit d'ordinaire, elle n'a presque aucune place dans l'étude. L'intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu'il y ait désir, il faut qu'il y ait plaisir et joie. L'intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d'apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n'y a pas d'étudiants, mais de pauvres caricatures d'apprentis qui, au bout de leur apprentissage, n'auront même pas de métier. C'est ce rôle du désir dans l'étude qui permet d'en faire une préparation à la vie spirituelle. (...)

     L'attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l'objet, maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu'on est forcé d'utiliser. La pensée doit être, à toutes les pensées particulières et déjà formées, comme un homme sur une montagne qui, regardant devant lui, aperçoit en même temps sous lui, mais sans les regarder, beaucoup de forêts et de plaines. Et surtout la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue, l'objet qui va y pénétrer. (...) Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus. (...)

     Les malheureux n'ont pas besoin d'autre chose en ce monde que d'êtres capables de faire attention à eux. La capacité de faire attention à un malheureux est chose très rare, très difficile; c'est presque un miracle, c'est un miracle. Presque tous ceux qui croient avoir cette capacité ne l'ont pas. La chaleur, l'élan du coeur ne suffisent pas. (...) Ce regard est d'abord un regard attentif, où l'âme se vide de tout contenu propre pour recevoir en elle-même l'être qu'elle regarde tel qu'il est, dans toute sa vérité. Seul en est capable celui qui est capable d'attention.»

Attente de Dieu, Paris, Livre de poche, 1963, p. 85 à 97.

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