Textes philosophiques

Simone Weil     le savoir et la vérité


     Un enfant apprend une leçon de géographie pour avoir une bonne note, ou par obéissance aux ordres reçus, ou pour faire plaisir à ses parents, ou parce qu'il sent une poésie dans les pays lointains et dans leurs noms. Si aucun de ces mobiles n'existe, il n'apprend pas sa leçon. 

    Si à un certain moment il ignore quelle est la capitale du Brésil, et si au moment suivant il l'apprend, il a une connaissance de plus. Mais il n'est aucunement plus proche de la vérité qu'auparavant. L'acquisition d'une connaissance fait dans certains cas approcher de la vérité, mais dans d'autres cas n'en approche pas. Comment discerner les cas ? 

    Si un homme surprend la femme qu'il aime et à qui il avait donné toute sa confiance en flagrant délit d'infidélité, il entre en contact brutal avec de la vérité. S'il apprend qu'une femme qu'il ne connaît pas, dont il entend pour la première fois le nom, dans une ville qu'il ne connaît pas davantage, a trompé son mari, cela ne change aucunement sa relation avec la vérité. 

    Cet exemple fournit la clef. L'acquisition des connaissances fait approcher de la vérité quand il s'agit de la connaissance de ce qu'on aime, et en aucun autre cas. 

    Amour de la vérité est une expression impropre. La vérité n'est pas un objet d'amour. Elle n'est pas un objet. Ce qu'on aime, c'est quelque chose qui existe, que l'on pense, et qui par là peut être occasion de vérité ou d'erreur. Une vérité est toujours la vérité de quelque chose. La vérité est l'éclat de la réalité. L'objet de l'amour n'est pas la vérité, mais la réalité. Désirer la vérité, c'est désirer un contact direct avec de la réalité. Désirer un contact avec une réalité, c'est l'aimer. On ne désire la vérité que pour aimer dans la vérité. On désire connaître la vérité de ce qu'on aime. Au lieu de parler d'amour de la vérité, il vaut mieux parler d'un esprit de vérité dans l'amour. 

    L'amour réel et pur désire toujours avant tout demeurer tout entier dans la vérité, quelle qu'elle puisse être, inconditionnellement. Toute autre espèce d'amour désire avant tout des satisfactions, et de ce fait est principe d'erreur et de mensonge. L'amour réel et pur est par lui-même esprit de vérité. C'est le Saint-Esprit. Le mot grec qu'on traduit par esprit signifie littéralement souffle igné, souffle mélangé à du feu, et il désignait, dans l'Antiquité, la notion que la science désigne aujourd'hui par le mot d'énergie. Ce que nous traduisons « esprit de vérité » signifie l'énergie de la vérité, la vérité comme force agissante. L'amour pur est cette force agissante, l'amour qui ne veut à aucun prix, en aucun cas, ni du mensonge ni de l'erreur.»
     

    L'enracinement

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