Textes philosophiquesSpinoza Ce qu'est la CréationCe qu’est la création. – Nous disons donc que la création est une opération à laquelle ne concourent d’autres causes que l’efficiente, c’est-à-dire qu’une chose créée est une chose qui pour exister ne suppose avant elle rien que Dieu. De la définition vulgaire de la création. – Il faut noter ici : 1° que nous laissons de côté les mots du néant communément employés par les philosophes, comme si le néant était une matière de laquelle les choses fussent tirées. Si, d’ailleurs, ils s’expriment ainsi, c’est parce qu’ayant coutume, quand il s’agit de la génération des choses, de supposer avant elles quelque chose de quoi elles sont faites, ils n’ont pu dans la création laisser de côté ce petit mot de. Le même accident leur est arrivé au sujet de la matière ; voyant en effet que tous les corps sont dans un lieu et entourés d’autres corps, ils se sont demandé où était contenue la totalité de la matière et ont répondu : dans quelque espace imaginaire. Il n’est donc pas douteux que, loin de considérer ce néant comme la négation de toute réalité, ils ne se le soient forgé ou imaginé comme quelque chose de réel. Explication de la définition adoptée. – 2° Que je dis : nulles causes en dehors de la cause efficiente ne concourent à la création. Je pouvais dire que la création nie ou exclut toutes causes sauf l’efficiente. J’ai mieux aimé dire : nulles causes ne concourent afin de n’avoir pas à répondre à ceux qui demandent si Dieu ne s’est proposé dans la création aucune fin, en vue de laquelle il ait créé les choses. De plus, pour mieux expliquer la chose, j’ai ajouté une deuxième définition, savoir : qu’une chose créée ne suppose rien avant elle sauf Dieu ; car si Dieu, en effet, s’est proposé quelque fin, cette fin n’est certainement pas extérieure à Dieu ; car il n’existe rien hors de Dieu par quoi il soit poussé à agir. Les accidents et les modes ne sont pas créés. 3° De cette définition il découle assez qu’il n’y a point de création des accidents et des modes ; car ils supposent outre Dieu une substance créée. Il n’a point existé de temps ou de durée avant la création. – 4° Enfin, avant la création nous ne pouvons imaginer aucun temps et aucune durée, mais le temps et la durée ont commencé avec les choses. Car le temps est la mesure de la durée ou plutôt il n’est rien qu’un mode de penser. Il ne présuppose donc pas seulement une chose créée quelconque, mais avant tout les hommes pensants. Quant à la durée, elle cesse où les choses créées cessent d’être et commence où les choses créées commencent d’être ; je dis les choses créées, car nulle durée n’appartient à Dieu mais seulement l’éternité, nous l’avons montré plus haut avec une suffisante évidence. La durée suppose donc avant elle ou au moins implique les choses créées. Pour ceux qui imaginent la durée et le temps avant les choses créées, ils sont victimes du même préjugé que ceux qui forgent un espace par-delà la matière, comme il est assez évident de soi. Voilà pour la définition de la création. L’opération de créer et celle de conserver sont une même opération de Dieu. – Il n’est pas nécessaire ici de répéter encore une fois ce que nous avons démontré Axiome 10, partie I ; savoir, que tout autant il est requis de forces pour créer une chose, tout autant il en est requis pour la conserver, c’est-à-dire que l’opération de créer le monde et celle de le conserver sont la même opération de Dieu. Après ces observations, passons maintenant à ce que nous avons promis en second lieu. Il nous faut donc chercher : 1° Ce qui est créé et ce qui est incréé ; 2° Si ce qui est créé a pu être créé de toute éternité. Quelles choses sont créées. – À la première question nous répondons brièvement : est créée toute chose dont l’essence est conçue clairement sans aucune existence bien qu’elle se conçoive par elle-même ; comme par exemple la matière, dont nous avons un concept clair et distinct, quand nous la concevons sous l’attribut de l’étendue et que nous concevons avec une clarté et une distinction égales qu’elle existe ou n’existe pas. Pensées Métaphysiques , trad. Charles Appuhn, G.F. p.377-378.
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