Textes philosophiques

Henry David Thoreau    la simplicité volontaire : une expérience


    " Pendant plus de cinq ans je l'entretins de la sorte grâce au seul labeur de mes mains, et je m'aperçus qu'en travaillant six semaines environs par an, je pouvais faire face à toutes les dépenses de la vie. La totalité de mes hivers comme la plus grande partie de mes étés, je les eus libres et francs pour l'étude. J'ai bien et dûment essayé de tenir école, mais me suis aperçu que mes dépenses se trouvaient en proportion, ou plutôt en disproportion, de mon revenu, car j'étais obligé de m'habiller et de l'entraîner, sinon de penser et de croire, en conséquence, et que par-dessus le marché je perdais mon temps. Comme je n'enseignais pas pour le bien de mes semblables, mais simplement comme moyen d'existence, c'était une erreur. J'ai essayé le commerce; mais je m'aperçus qu'il faudrait dix ans pour s'enrouter là-dedans, et qu'alors je serais probablement en route pour aller au diable. Je fus positivement pris de peur à la pensée que je pourrais pendant ce temps-là faire ce qu'on appelle une bonne affaire...

     Comme je préférais certaines choses à d'autres, et faisais particulièrement cas de ma liberté, comme je pouvais vivre à la dure tout en m'en trouvant fort bien, je n'avais nul désir pour le moment de passer mon temps à gagner de riches tapis plus qu'autres beaux meubles, cuisine délicate ni maison de style grec ou gothique. S'il est des gens pour qui ce ne soit pas interruption que d'acquérir ces choses, et qui sachent s'en servir une fois acquises, je leur abandonne la poursuite. Certains se montrent industrieux et paraissent aimer le labeur pour lui-même, ou peut être parce qu'il les préserve de faire pis; à ceux-là, je n'ai présentement rien à dire. A ceux qui ne sauraient que faire de plus de loisir que celui dont ils jouissent actuellement, je conseillerais de travailler deux fois plus dur qu'ils ne font - travailler jusqu'à ce qu'ils paient leur dépense, et obtiennent leur licence...

     En un mot je suis convaincu, et par la foi et par l'expérience, que s'entretenir ici-bas n'est point une peine, mais un passe-temps, si nous voulons vivre avec simplicité et sagesse... Il n'est pas nécessaire pour l'homme de gagner sa vie à la sueur de son front, si toutefois il ne transpire plus aisément que je ne le fais".

Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, p. 69-70.

Indications de lecture:

Voir la leçon Croissance, décroissance, développement, partie C.

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