Textes philosophiquesValéry critique de la politique"Toute politique se fonde sur l'indifférence de la plupart des intéressés, sans laquelle il n'y a point de politique possible. La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. A une époque suivante, on y adjoignit l'art de contraindre les gens à décider sur ce qu'ils n'entendent pas. Ce deuxième principe se combine avec le premier. Parmi leurs combinaisons, celle-ci : Il y a des secrets d'État dans des pays de suffrage universel. Combinaison nécessaire et, en somme, viable; mais qui engendre quelquefois de grands orages, et qui oblige les gouvernements à manoeuvrer sans répit. Le pouvoir est toujours contraint de naviguer contre son principe. Il gouverne au plus près contre le principe, dans la direction du pouvoir absolu. Tout état social exige des frictions. Dans les uns, on convient de l'égalité des citoyens. Les autres stipulent et organisent l'inégalité. Ce sont les des conventions qu'il faut pour commencer le jeu. L'une et l'autre posée, le jeu commence, qui consiste nécessairement dans une action de sens inverse de la part des individus. Dans une société d'égaux, l'individu agit contre l'égalité. dans une société d'inégaux, le plus grand nombre travaille contre l'inégalité. Le résultat des luttes politiques est de troubler, de falsifier dans les esprits la notion d'ordre d'importance des questions et de l'ordre d'urgence. Ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple bien-être. ce qui est d'avenir par l'immédiat. ce qui est profond et lent par ce qui est excitant. Tout ce qui est de la politique pratique est nécessairement superficiel." Regards sur le monde actuel, folio, p. 50-51.
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