Textes philosophiquesGünther Anders nos plaisirs aux ordres du consumérisme
« Bien sûr, on va objecter que nous
avons rempli les missions qui nous ont été confiées avec plaisir : nous
adorons quand le coca-cola mousse devant nous ; nous adorons nous laisser
transporter, lorsque nous jouons le disque qui parle du Mississippi, dans
une voluptueuse nostalgie qui serait chez nous la réalisation d'un désir
profond. C'est vrai. C'est malheureusement vrai. Seulement, cela ne
constitue pas une objection. Ou, pour être plus précis : c'est seulement «
l’objection qu'on attend de nous », celle que nous devons faire en tant que
mystifiés — c'est donc l'objection qui confirme notre théorie. Le goût non
plus ne protège ras de l'esclavage. Si l'exécution de nos missions nous
comble de plaisir, c'est en fait uniquement parce que nous avons suivi
l'ordre de souhaiter ce qui nous est ordonné ; et parce que la règle selon
laquelle « réaliser un souhait est satisfaisant » vaut sans exception: même
lorsqu'il s'agit de réaliser un souhait qui nous a été ordonné. En fait, il
n'y a presque rien qui confirme aussi définitivement le caractère de travail
et d'esclavage de nos missions que le plaisir que nous prenons à les
remplir, « notre plaisir ». Si je mets ces deux mots entre guillemets, c'est
parce que l'automystification débute avec cet usage de l'adjectif possessif
« notre ». Il ne faut pas confondre « notre » et « notre ». L'adjectif
possessif ne montre pas seulement que nous possédons, il montre aussi que
nous sommes possédés. (…) L'Obsolescence de l'Homme, Fario, tome II, 2002. Indications de lecture:Cf. Que faisons-nous de notre liberté?
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