Textes philosophiques
Jean-Pierre Castel
sur la violence monothéïste
On assiste depuis une dizaine
d'années à une montée des conflits religieux de par le monde:
affrontements entre chiites et sunnites, entre chrétiens et musulmans,
persécution des coptes, voire résurgence de l'antisémitisme. Ce n'est
sans doute pas tant le retour du religieux qui marque l'entrée dans le
XXIème siècle que la violence nourrie par la religion.
Or tous ces
conflits possèdent une caractéristique commune, mais passée sous
silence: l'influence monothéiste. Certes chacun des ces conflits obéit
à un contexte particulier et à des motivations plurielles. Mais dans
tous ces conflits, et plus généralement dans toutes les guerres de
religion au cours de l'histoire - c'est à dire une guerre où l'un des
protagonistes veut imposer sa religion-, au moins l'un des
protagonistes est monothéiste.
Cette
évidence fait pourtant l'objet d'une omerta, d'un déni de la part de la
plupart des occidentaux, qu'ils soient soit croyants, agnostiques ou
athées. Parmi les multiples arguments avancés pour étayer ce déni, on
en citera ici quatre.
Le premier
est de s'offusquer que des religions qui prêchent l'amour puissent être
accusées d'apporter la violence. Mais le monothéisme ne se limite pas à
prêcher l'amour, il porte aussi en lui, par sa prétention à détenir la
vérité unique, un exclusivisme, une peur de la liberté de conscience.
Tout acte de violence répond à des mobiles multiples: la volonté de
pouvoir, la possession, la haine, la peur, le sadisme, etc.
L'exclusivisme monothéiste a introduit un mobile nouveau, que le
polythéisme ne connaissait pas : la peur de la liberté de conscience,
la peur du libre arbitre, la peur de l'hérésie, la peur des idoles. La
violence monothéiste, c'est celle qui veut protéger le croyant de la
menace de l'hérésie, ou qui veut imposer sa vérité à autrui. Le
monothéisme apparaît ainsi ambivalent : côté cour, l'amour, côté
jardin, la violence exclusiviste.
Il existe
d'ailleurs une "signature" de la violence monothéiste, une
caractéristique qui la distingue des autres violences humaines : c'est
la fierté, l'absence de repentance pour les violences commises au nom
de Dieu, du Christ ou d'Allah. Toutes les autres violences humaines
sont rapidement condamnées par la vox populi, par les sages, par les
souverains suivants. Pour les Grecs, la violence, c'est l'hubris. Dans
le cas des violences commises au nom de Dieu, combien de siècles
faut-il attendre pour obtenir l'expression d'un regret de la part des
autorités religieuses ?
Le second
argument consiste à reconnaître que les religions monothéistes ont
effectivement pratiqué la violence contre l'hérésie et contre
l'idolâtrie, mais à prétendre que cette violence ne vient en aucune
façon de Dieu: elle viendrait des hommes, de leur narcissisme
identitaire, d'une interprétation fautive des textes sacrés, d'une
manipulation de la religion par la politique. Ces violences n'ont
d'ailleurs été commises que lorsque que la religion a pu s'appuyer sur
le politique, sous l'Empire Romain à partir de Constantin, sous le
pouvoir Papal au Moyen-Age, lors de la colonisation européenne, dans le
monde théocratique musulman. Même si ces violences se proclamaient "au
nom de Dieu", la religion n'aurait servi que de prétexte, d'habillage ;
l'ordre biblique de brûler les idoles ou du jihad ne seraient que
symboliques, ne viseraient que le combat du mal à l'intérieur de
soi-même; chez les chrétiens, comment imaginer que le Jésus du "aimez
vos ennemis" puisse être tenu responsable des violences commises en son
nom ?
Le recours à l'argument du
symbolique paraît bien spécieux, et destiné à sauver les apparences.
Les exégèses passent, la lettre reste. Que la religion n'ait eu les
moyens de sa violence que lorsqu'elle a pu s'appuyer sur le politique
n'autorise pas à renverser la charge de la preuve. Quant à Jésus,
l'amour du prochain n'est que son second commandement, alors que le
premier, celui d'aimer Dieu, se réfère au dieu de l'Ancien Testament,
le dieu de la vérité révélée, un dieu jaloux, guerrier, plus souvent
exterminateur que miséricordieux, que Jésus n'a jamais remis en cause.
Le troisième
argument prétend que toutes les religions seraient violentes. Or si la
violence et la guerre existent bien évidemment en dehors du
monothéisme, il n'en est pas de même des guerres de religion: les
guerres antiques dans le monde polythéiste étaient motivées par la soif
de conquête, mais ni par la haine des dieux des voisins, ni par la
volonté d'imposer une croyance à l'ennemi. Le Grec Alexandre le Grand
et le Perse Cyrus fournissent sans doute les meilleurs exemples de la
tolérance des religions polythéistes : ils n'ont pas cherché à détruire
systématiquement les dieux et les objets de culte des peuples qu'ils
ont vaincus, ni à les remplacer par leurs propres dieux. Les violences
hindoues actuelles sont un phénomène récent, sans précédent dans
l'histoire avant l'arrivée du monothéisme en Inde. Les violences
commises par les bouddhistes ont rarement été motivées par la volonté
d'imposer cette spiritualité. Quant aux violences idéologiques du XXème
siècle, leur filiation par rapport au monothéisme, à qui ces idéologies
ont emprunté la notion de vérité unique et le messianisme, n'est plus à
démontrer.
article
Existe-t-il des violences religieuses hors influence monothéiste
?
Indications de lecture:
cf.
De la Religion à la
Spiritualité. ch. III.
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H, I,
J,
K,
L,
M,
N, O,
P, Q,
R,
S,
T, U,
V,
W, X, Y,
Z.
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