Textes philosophiques

Jared Diamond    si peu de distance entre l'homme et les singes


Comme n'importe quel anatomiste l'aurait prédit, la plus grande différence génétique mise en évidence par un grand abaissement du point de fusion de l'ADN hybride, se situe entre l'ADN des singes non anthropomorhes et celui de l'homme ou de n'importe lequel des grands singes. Cela ne fait qu'exprimer sous une forme quantitative ce que tout le monde admet depuis que les grands singes sont connus de la science: l'homme et ces derniers sont plus étroitement apparentés que chacun d'eux ne l'est à tous les singes non anthropomorhes. En tout cas, sous une forme chiffrée, on peut donc dire que l'ADN de ces derniers est à 93% semblable à celui de l'homme et des grands singes, ou qu'il en diffère de 7%.
     La différence qui vient tout de suite après celle-ci, dans l'ordre de grandeur décroissant, ne constitue pas non plus une surprise: il s'agit de la différence de 5% entre l'ADN des deux espèces de gibbons et celui de l'homme ou des autres grands singes. Cela confirme aussi l'idée, qui était depuis longtemps acceptée de tout le monde, selon laquelle les gibbons sont les grands singes les plus particuliers, et que les affinités de l'homme sont plutôt situées du côté de l'orang-outang, du gorille et des chimpanzés. Dans ce dernier groupe d'espèces, la plupart des anatomistes avaient récemment accepté l'idée que l'orang-outang est assez distinct. Cette notion concorde bien à présent avec les résultats obtenus au moyen de l'ADN : ceux-ci donnent une différence de 3,6% entre l'ADN de l'orang-outang et celui de l'homme, du gorille ou des deux espèces de chimpanzés. La géographie confirme que ces quatre dernières espèces ont divergé des espèces de gibbons et de l'orang-outang il y a bien longtemps : les gibbons et les orangs-outangs vivants et fossiles sont confinés à l'Asie du Sud-Est, tandis que le gorille et les chimpanzés, plus les premiers représentants fossiles de la lignée humaine, sont confinés à l'Afrique.
     À l'autre extrême, on trouve un résultat, qui lui non plus ne saurait surprendre, selon lequel les ADN les plus semblables sont ceux du chimpanzé commun et du chimpanzé pygmée : ils sont à 99,3% identiques, ne différant que de 0,7%. En fait, ces deux espèces de chimpanzés sont tellement semblables par leur apparence externe qu'il a fallu attendre 1929 avant que les zoologistes ne se soucient de leur donner un nom d'espèce distinct. Le chimpanzé vivant au Zaire, au niveau de l'équateur, a donc été baptisé du nom de « chimpanzé pygmée », parce qu'il est en moyenne légèrement plus petit (avec une charpente plus gracile et de plus longues jambes) que le « chimpanzé commun », lequel est très répandu dans toute l'Afrique, jusqu'au nord de l'équateur. Cependant, avec les connaissances accumulées ces dernières années sur le comportement des chimpanzés, il est devenu clair que les petites différences anatomiques entre ces deux espèces cachent de considérables différences dans le domaine de la biologie de la reproduction. Contrairement au chimpanzé commun, mais à l'instar de l'homme, le chimpanzé pygmée est susceptible d'adopter toutes sortes de positions lors de la copulation, y compris le face-à-face ; les femelles peuvent en prendre l'initiative (ce n'est pas l'apanage des mâles) ; les femelles sont réceptives la plus grande partie du cycle, et pas seulement durant une brève période au milieu de celui-ci ; de forts liens sociaux, au lieu de ne s'observer qu'entre les mâles, peuvent s'établir entre certaines femelles ou bien entre certains mâles et certaines femelles. Il est clair que les gènes peu nombreux qui diffèrent entre le chimpanzé commun et le chimpanzé pygmée (soit 0,7%) sont responsables de grandes différences dans les domaines de la physiologie de la reproduction et des comportements sociaux. Qu'un petit pourcentage de différence dans les gènes est à l'origine de grandes conséquences, voilà une évidence que nous martèlerons, lorsque nous envisagerons les différences génétiques entre l'homme et les chimpanzés.
     Dans tous les cas que j'ai discutés jusqu'ici, les preuves anatomiques des apparentements étaient déjà convaincantes, et les conclusions fondées sur l'ADN n'ont fait que confirmer les points de vue auxquels étaient déjà parvenus les anatomistes. Mais le problème que ces derniers n'avaient pas réussi à éclaircir — les relations d'apparentement entre l'homme, le gorille et les chimpanzés —, les études sur l'ADN ont permis de le résoudre. Comme le montre la figure 1, l'ADN de l'homme diffère de 1,6% de celui du chimpanzé commun ou de celui du chimpanzé pygmée (autrement dit, les ADN en question sont semblables à 98,4%). L'ADN du gorille diffère un petit peu plus, c'est-à-dire de 2,3%, du nôtre ou de l'une ou l'autre des espèces de chimpanzés.

Le troisième chimpanzé, Gallimard, p. 31-33.

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