"Encyclopédie. Ce mot signifie enchaînement de connaissances; il est composé
de la préposition grecque en, et des substantifs kuklos, cercle, et paideia,
connaissance.
En effet, le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances
éparses sur la terre; d'en exposer le système général aux hommes avec qui
nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous, afin
que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour
les siècles qui succéderont; que nos neveux, devenant plus instruits,
deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne
mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. [...]
C'est à l'exécution de ce projet
étendu, non seulement aux différents objets de nos académies, mais à toutes
les branches de la connaissance humaine, qu'une Encyclopédie doit suppléer;
ouvrage qui ne s'exécutera que par une société de gens de lettres et
d'artistes, épars, occupés chacun de sa partie, et liés seulement par
l'intérêt général du genre humain, et par un sentiment de bienveillance
réciproque. [...]
J'ai dit qu'il n'appartenait qu'à un siècle
philosophe de tenter une Encyclopédie; et je l'ai dit, parce que cet ouvrage
demande partout plus de hardiesse dans l'esprit, qu'on n'en a communément
dans les siècles pusillanimes du goût. Il faut tout examiner, tout remuer
sans exception et sans ménagement; oser voir [...] que ceux qui sont venus
après les premiers inventeurs n'ont été, pour la plupart, que leurs
esclaves; que les productions qu'on devait regarder comme le premier degré,
prises aveuglément pour le dernier terme, au lieu d'avancer un art à sa
perfection, n'ont servi qu'à le retarder, en réduisant les autres hommes à
la condition servile d'imitateurs. [...] Il faut fouler aux pieds toutes ces
vieilles puérilités; renverser les barrières que la raison n'aura point
posées; rendre aux sciences et aux arts une liberté qui leur est si
précieuse. [...]
Je sais que ce sentiment n'est pas celui de tout le
monde; il y a des têtes étroites, des âmes mal nées, indifférentes sur le
sort du genre humain, et tellement concentrées dans leur petite société
qu'elles ne voient rien au-delà de son intérêt. [...] A quoi bon divulguer
les connaissances de la nation, ses transactions secrètes, ses inventions,
son industrie, ses ressources, ses mystères, sa lumière, ses arts et toute
sa sagesse ! Ne sont-ce pas là les choses auxquelles elle doit une partie de
sa supériorité sur les nations rivales et circonvoisines ? Voilà ce qu'ils
disent; et voici ce qu'ils pourraient encore ajouter. Ne serait-il pas à
souhaiter qu'au lieu d'éclairer l'étranger, nous pussions répandre sur lui
des ténèbres, et plonger dans la barbarie le reste de la terre, afin de le
dominer plus sûrement ? Ils ne font pas attention qu'ils n'occupent qu'un
point sur ce globe, et qu'ils n'y dureront qu'un moment; que c'est à ce
point et à cet instant qu'ils sacrifient le bonheur des siècles à venir et
de l'espèce entière".