Textes philosophiquesJean Pierre Dupuy le contrôle de la techno-science est-il possible?
Cette idée d’acquérir la «maîtrise de notre maîtrise»
par la technique est contredite par ce qui se profile dans le domaine des
technologies avancées. En particulier à la convergence des
nanotechnologies et des biotechnologies. Avec la «biologie synthétique»,
qui entend fabriquer la vie, on cherche forcément à produire des entités
qui échappent à leur concepteur. Kevin Kelly (ancien rédacteur en chef du
magazine Wired, consacré aux nouvelles technologies, ndlr) estime
d’ailleurs que la puissance d’une technique est «proportionnelle à son
incontrôlabilité intrinsèque, à sa capacité à nous surprendre en
engendrant de l’inédit». On va donc déclencher dans la nature des
processus complexes et irréversibles. L’ingénieur de demain ne sera pas un
apprenti sorcier par négligence ou par incompétence, mais par dessein.
Un contrôle des technosciences par nos systèmes démocratiques n’est pas possible? Je pense que oui, mais cela nécessite des conditions draconiennes qui ne sont pas remplies. L’une d’entre elles est évidemment que les sciences et les techniques fassent culture, et que cette culture soit intégrée à la culture dite «générale». On en est loin. D’abord, parce que très peu de gens ont accès à la culture scientifique, qui est autre chose que l’information sur les sciences et les techniques. Mais il y a plus grave: il faudrait que les scientifiques eux-mêmes aient une culture scientifique. Ça peut paraître gonflé de prétendre cela, mais c’est très vrai si l’on prend le mot culture dans son sens fort. La science s’imagine marcher vers l’asymptote du savoir absolu. Elle ne s’intéresse donc pas à son histoire. Elle manque d’une capacité de réflexion sur elle-même et gomme la question du sens en devenant pure syntaxe. Tout ça fait qu’il n’y a pas de culture scientifique chez les scientifiques. Ni, a fortiori, dans la population. EntretienIndications de lecture:L'auteur est connu pour son livre : Pour un Catastrophisme éclairé.
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