Texte philosophique :

John C. Eccles     plus j'étudie le cerveau et moins je suis matérialiste


    Nous considérons comme allant de soi le fait que notre esprit agisse sur notre cerveau pour lui commander un mouvement voulu. La plupart des philosophes, des psychologues, et des neurophysiologistes rejettent pourtant cette évidence de bon sens. Ils affirment de manière dogmatique que ne faisant pas partie du monde matériel les événements mentaux comme la pensée et la préparation d’une action ne peuvent causer de changements nulle part dans le monde.
       Ceux qui disent cela croient que toutes nos actions dépendent complètement du cerveau bien que nous ayons le sentiment que c’est la pensée ou le désir qui contrôle nos actions volontaires. Ces matérialistes affirment que les événements neurologiques qui ont lieu lors de tous les mouvements volontaires concourent à cette impression fausse. Ils expliquent ce phénomène par une relation d’identité : au mouvement extérieur que nous pouvons voir est associé un fait mental. Il n'est pas question que l’un cause à l’autre mais il s’agit du même événement observé depuis des perspectives différentes. De l’intérieur et de l’extérieur. Résultat : chaque fois que les cellules nerveuses se mettent en marche, nous avons l’impression que nous sommes la cause de ce phénomène. En fait, tout cela ne serait qu’illusion. Ces mêmes théoriciens prétendent que les neurophysiologistes parviendront à identifier avec de plus en plus de précision les zones du système nerveux en rapport avec toute la gamme d’expériences conscientes — l’excitation due à la créativité, la gaieté et même l’amour. Ils vont jusqu’à dire que tout sera finalement expliqué par les activités des cellules nerveuses, soit de notre vivant, soit dans les générations à venir. A ce programme réductionniste qui promet essentiellement de tout expliquer un jour, Karl Popper donne le nom de « matérialisme prometteur ».
       La réalité de l’action du cerveau apparaît de façon cruellement manifeste chez les individus atteints de la maladie de Parkinson, une maladie nerveuse qui afflige le patient de tremblements musculaires involontaires ainsi que d’un ralentissement et d’un affaiblissement général des mouvements corporels. Dans ce cas-là, il n’y a pas de relation d’identité. Les individus malades ont la plus grande difficulté à réaliser une action qu’ils projettent malgré tout leur désir d’y parvenir. Si les philosophes qui parlent si légèrement de la simplicité du problème cerveau/corps étaient affligés de cette maladie, ils se rendraient bien vite compte qu’un système de nerfs extrêmement complexe s’interpose au niveau du cerveau entre l’intention d’agir et l’action réalisée.
     Pour illustrer cela, observons ce qui se passe quand on prépare une action, par exemple porter élégamment un verre de vin jusqu’a ses lèvres ou réussir un mouvement de golf. Bien que ces actions semblent très simples, elles sont le résultat d’événements qui se produisent au niveau du système nerveux et mettent en œuvre des centaines de millions de cellules nerveuses (neurones). Pensez à tous les muscles dont on doit commander la contraction avec une force précise et au bon moment ! Un coup de golf par exemple fait travailler presque tous les muscles des membres, du torse, du cou et de la tête. Il faut des années d’entraînement pour apprendre ce mouvement même si un joueur expérimenté ne sait pas comment chacun de ses muscles travaille, il sait par la manière dont il bouge et la précision avec laquelle il frappe la balle si son équipement de neurones fonctionne bien ou non.
     Nous disposons d’une certaine connaissance de la complexité de l’action du muscle grâce aux études de champions de golf et de gymnastique faisant des exercices simples. Mais on ne peut qu’imaginer les subtilités des contractions musculaires qui se produisent pendant les représentations  de musiciens, de danseurs, d’acteurs, d’athlètes et de techniciens manipulant des instruments délicats.
      J’ai critiqué à plusieurs reprises les théories des « matérialistes prometteurs ». Comme alternative à leur théorie, je propose la croyance du bon sens formulé à l’origine par René Descartes au XVIIe siècle et réactualisé par Karl Popper et moi-même. Cette théorie a pour nom l’« interactionnisme dualiste ». Elle affirme que nous vivons dans deux mondes distincts, le monde de l’esprit et le monde matériel qui inclut le cerveau (le dualisme) et qu’il y a une interaction intense à travers cette frontière entre l’esprit et le cerveau (d’où l’« interactionnisme »).
     Jusqu’à une date récente, cette idée se confondait avec celle selon laquelle l’action de l’esprit se trouve diffusée à travers le cerveau. C’était un fantôme dans la machine. Mais au cours des quatre dernières années, ce concept a été transformé à la suite de travaux scientifiques qui ont aboutit à l’identification d’une zone spéciale dans l’écorce cérébrale (ou cortex) où des événements mentaux causent des modifications au niveau des neurones. Cela a été découvert pour la première fois en 1943 par le neurologue Wilder Penfield qui qualifia cette zone d’ « aire motrice supplémentaire » (S.M.A.) La S.M.A. se trouve sur la demi-surface supérieure de chaque hémisphère cérébral juste en dessous du crâne. Mais après l’avoir découverte, il a été difficile de lui attribuer une importance dans la réalisation de mouvements corporels. Cela tient au fait que son rôle semblait faible par rapport à celui de la principale zone du cortex responsable des mouvements et où l’on peut tracer une carte précise des différentes régions contrôlant spécifiquement toutes les zones du corps. Désormais, la S.M.A. semble destinée à occuper un rôle central dans le contrôle de tous les mouvements volontaires.
    ...     Bien que nous ne comprenions encore que faiblement le mystère qui se cache derrière le mécanisme présidant au mouvement, ce que nous savons déjà suffit à nous faire considérer le robot le plus sophistiqué comme un échec comparé à l’action d’un être humain. Voilà déjà une chose merveilleuse et excitante.

« Le cerveau peut-il comprendre le cerveau? »1982, Extrait des cahiers sciences du Figaro Magazine.

 Indications de lecture:

Le livre original d'Eccles est : Comment la conscience contrôle le cerveau? Fayard. Voir aussi Evolution du cerveau et création de la conscience, champ Flammarion. On peut faire des rapprochement itnéressants avec Talbot L'univers est un hologramme. La position d'Eccles, comme celle de Popper est celle du dualisme cartésien .

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