"Un homme qui a 
	trouvé une réponse à la question du sens de la vie est un homme religieux ; 
	c'est le propos d'Albert Einstein que je cite dans l'appendice de ce livre. 
	Ajoutons aussi que Paul Tillich s'est exprimé de façon analogue en proposant 
	cette définition :
"Être religieux signifie s'interroger passionnément 
	sur le sens de notre vie et être ouvert aux réponses, même si elles nous 
	ébranlent en profondeur." (Paul Tillich, La Dimension oubliée)
En tout 
	cas la logothérapie - qui reste d'abord une psychothérapie, relevant à ce 
	titre de la psychiatrie et donc de la médecine -, peut légitimement se 
	préoccuper non seulement de la "volonté de sens" - selon sa propre 
	expression - mais de la volonté d'un sens dernier, d'un supra-sens, comme je 
	l'appelle volontiers. Or la foi religieuse est, en fin de compte, foi en ce 
	supra-sens, acte de confiance à l'égard de ce supra-sens.
     
	Certes, une telle conception de la religion est aux antipodes de toute 
	étroitesse d'esprit confessionnelle et de la myopie religieuse qu'elle 
	entraîne, faisant apparemment de Dieu un être préoccupé d'une seule chose : 
	que le plus grand nombre possible d'hommes croient en lui et que, de plus, 
	ils conforment leur foi aux dogmes de telle confession déterminée. Je ne 
	peux concevoir que Dieu soit aussi mesquin. Je ne puis pas davantage 
	concevoir qu'une Eglise prétende exiger de moi que je croie. Je ne puis 
	vouloir croire - pas plus que je ne puis vouloir aimer (c'est-à-dire me 
	contraindre à aimer), pas plus que je ne puis me contraindre à espérer 
	(c'est-à-dire me forcer contre ma propre évidence). Il est des réalités qui 
	ne relèvent pas de la volonté - et que nous ne pouvons donc pas induire à 
	notre gré, sur un simple ordre de notre volonté. Pour prendre un exemple 
	très simple : je ne peux pas rire sur ordre. Si quelqu'un veut me faire 
	rire, qu'il tâche de me raconter une histoire drôle, capable de me faire 
	rire.
     Il en va de façon analogue de l'amour et 
	de la foi : ils ne se laissent pas manipuler. Phénomènes intentionnels, ils 
	ne peuvent se manifester que si apparaissent un contenu et un objet 
	adéquats.
Dans une interview pour le magazine américain Times, la 
	journaliste chargée du reportage me demanda si, à mon avis, l'état d'esprit 
	actuel éloignait de la religion. Je lui répondis que cet état d'esprit 
	n'éloignait pas de la religion comme telle, mais bien de diverses 
	confessions qui n'avaient apparemment rien d'autre à faire qu'à se combattre 
	les unes les autres et à entretenir chez leurs fidèles une hostilité 
	réciproque. La journaliste me demanda alors si cela signifiait que nous 
	aboutirions tôt ou tard à une religion universelle. Je déniai cette 
	éventualité : au contraire, lui répondis-je, nous n'allons pas vers une 
	religion universelle, mais plutôt vers une religion personnelle - une 
	religion personnalisée, une religiosité qui permette à chacun de trouver son 
	langage propre, son langage personnel, le langage qui n'appartient qu'à lui, 
	quand il s'adresse à Dieu.
     Ceci n'exclut pas, 
	évidemment, des rituels et des symboles communs. L'humanité ne connaît-elle 
	pas une pluralité de langues - dont beaucoup, pourtant, utilisent le même 
	alphabet ?
D'une façon ou d'une autre les religions, dans leur diversité, 
	ressemblent aux différentes langues : nul de saurait prétendre sa langue 
	supérieure aux autres - toute langue, quelle qu'elle soit, permet à l'homme 
	d'accéder à la vérité, à l'unique vérité, comme elle lui permet aussi de se 
	tromper, voire de mentir. Toute religion peut, de même, lui permettre de 
	trouver le chemin de Dieu - de l'unique Dieu. 
	Le Dieu inconscient, Psychothérapie et religion,  1975.
	Extrait de la préface de l'édition française.
    Indications de lecture:
	Frankl était professeur de neurologie et psychiatrie à la faculté de 
	médecine de l'université de Vienne, il dirigea pendant 25 ans la 
	polyclinique de Vienne. Il est l'inveteur de la logothérapie, ou thérapie 
	par le sens de la vie, qu'il enseigna dans de nombreuses universités 
	(Harvard, Stanford, Pittsburg, San Diego). Rescapé juif des camps nazis, 
	Viktor Frankl est le fondateur après Freud et Adler, d'une approche 
	psychologique et psychiatrique, la Troisième Ecole Viennoise, qui a 
	révolutionné la psychothérapie. Pour lui, bien au-delà de la pulsion 
	sexuelle (Freud) et de la volonté de puissance (Adler), la quête de l'homme 
	est avant tout celle du sens.