Textes philosophiques

Jean Gebser             la conscience archaïque


     "L’homme est doté d’une conscience que l’on pourrait qualifier d’archaïque ou d’originelle, dont la plupart des gens n’ont plus aucune conscience ; le niveau suivant de conscience relève du magique, il est inscrit dans la vitalité; ensuite vient la conscience mythique, ancrée dans le psychisme ; le niveau de conscience suivant est mental, rationnel, relevant plutôt de la pensée ; un cinquième niveau s’ajoute peut-être aux précédents: ce nouveau niveau qui se met en place est celui de la conscience intégrale. Il n’y a pratiquement rien à dire sur cette « couche » initiale qu’est la conscience archaïque. Le mot couche est placé entre guillemets, car il ne s’agit pas réellement de couches, mais de structures qui s’interpénètrent et interagissent dans un mouvement qui donne à l’homme l’envie et le courage de vivre. Peut-être le recours à une parabole, l’état de paradis, est-il plus parlant pour décrire l’étape archaïque du développement de l’homme, à la fois enfermé en lui-même et part non différenciée du cosmos, du tout ou de Dieu, peu importe comment on désigne ce tout. Cette conception, ou éventualité, n’est pas le fruit d’une spéculation. Que l’on se souvienne de cette parole apocryphe du Christ s’adressant à ses disciples, relatée par Origène : Je vous ai choisis avant la naissance de la Terre. Voilà une parole sur laquelle on peut méditer des jours et des jours, mais n’est-ce pas aussi une allusion à cette constellation originelle, ancestrale, dans laquelle régnait déjà une sorte de conscience ? L’homme contemporain, dont le mental est imprégné de rationalité, s’est malheureusement habitué à la dualité, il réfléchit en termes d’opposition, tout est noir ou blanc, organique ou inorganique. Ainsi conteste-t-il à la pierre, la fleur ou l’animal leur propre forme de conscience. Grâce aux recherches faites en biologie, surtout en biologie quantique, on sait aujourd’hui que la perception en termes opposés, tels que matière organique ou inorganique, vivante ou morte est erronée. Cette réduction de la complexité à la dualité / aux seuls contraires est aussi déraisonnable en biologie qu’en philosophie : cela revenait à dire qu’il y a d’un côté des êtres ou des choses non conscients – non pas «inconscients» – et de l’autre l’Européen, parfaitement conscient, sorte de couronnement de la création, disposant bien entendu librement de tout. Voilà pourquoi je dis que la structure archaïque est elle aussi dotée de conscience".

L'image de l'homme et la conscience, conférence de 1965, p. 3-4.

Indications de lecture :

Philosophe et poète suisse. Ken Wilber situe Gebser dans la philosophie intégraliste, de même que S. Aurobindo. Traduit en anglais et en espagnol, Gebser est quasiment inconnu des lecteurs français. Comme Alfonso Caycedo, père de la sophrologie, il a été à l'ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry et il a ensuite affirmé : la conscience supramentale de Sri Aurobindo et ma conscience intégrale sont les mêmes. Voir fiche Wikipédia.

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