Georges Gusdorf

Textes philosophiques

Georges Gusdorf se méfier des doctrines qui promettent la liberté

" Il convient de se méfier de toutes les doctrines qui promettent la liberté pour avant ou pour plus tard, pour ailleurs ou pour autrement que dans la pratique même de la vie. L'exotisme marxien de la société sans classes à la fin de l'histoire ne vaut pas mieux que l'exotisme du Jardin de la Genèse, au commencement de l'histoire. Et la hantise de l'acte gratuit, différent des autres actes, parce qu'il ne subirait pas la loi des circonstances, différent même de son auteur, auquel nulle nécessité intrinsèque ne le lierait, n'est qu'un autre exotisme d'une conscience poussée à bout qui prendrait le parti de sauter par dessus elle-même. Ceux qui, à la manière des surréalistes, rêvent ainsi d'un acte sans légitimation, à la fois enfant trouvé et pourtant expression suprême d'un cœur mis à nu, obéissent à un désir d'innocence et de plénitude. Mais de ce côté aussi les chemins de la magie ne sont pas les chemins de la liberté ; la tentative d'évasion se réduit à une sorte de fuite en avant, la fuite de l'homme devant son ombre. La liberté n'est pas un caprice d'enfant, la liberté n'est pas un jeu. Les tueurs de Dieu, eux-mêmes, ne suppriment Dieu que pour prendre sa place ; Dieu disparaît en théorie, mais la fonction Dieu subsiste. Toutes les contradictions théologiques se trouvent ainsi perpétuées, avec la difficulté supplémentaire qu'elles sont attribuées à l'homme. On ne sait pas très bien si la théologie s'est dégradée en anthropologie, ou si l'anthropologie s'est promue à la dignité de théologie. Plus exactement, on assiste à la liquidation conjuguée de la théologie et de l'anthropologie. Subordonner la liberté humaine à, une conception, quelle qu'elle soit, de la liberté divine, c'est défigurer par avance la condition humaine".

Signification humaine de la liberté. p. 240-241.

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