|
Textes philosophiquesGeorges Gusdorf le mystère de la force est un mystère de lumière"Le mystère de la force est un mystère de lumière. Qu'il s'agisse de la mère de famille qui se dépense en travaux « ennuyeux et faciles », ou de personnalités exemplaires dans l'histoire, incarnations de valeurs qui demeurent vivantes à travers les siècles, Bouddha ou jésus, Socrate, Gandhi, la vertu de force apparaît toujours comme la mise en œuvre d'un don incompréhensible et fascinant. Une autorité, née du dedans et qui agit du dedans, se communique autour de certains êtres, dans un rayon d'action qui peut être celui d'une modeste demeure, ou bien s'étendre à un continent, à l'univers tout entier. Les peuples primitifs, sensibles à cette irradiation d'un être privilégié, chef, héros ou sorcier, l'attribuent à un pouvoir surnaturel qu'il aurait reçu en partage. L'homme fort est pour eux le dépositaire d'une énergie sacrée, d'un mana, qui le rend supérieur aux autres, plus heureux, plus puissant ou plus sage. Croyance naïve, mais qui atteste bien l'impression ressentie d'un surcroît d'être, d'un surplus de valeur dotant certains hommes entre tous d'une qualité incommensurable. Ainsi se montre la force du génie dans le jeune Mozart, obscur et ignoré, ou dans jean-Sébastien Bach, homme mûr, père de famille nombreuse et modeste fonctionnaire : cette parole souveraine qui brille en eux se fait messagère de joie aux siècles des siècles pour des foules innombrables qui y écoutent la secrète respiration de leur être enfin délivré. Mais, encore une fois, ce privilège de transcendance rayonnante n'est pas réservé à ceux dont, pour mieux nous les opposer, nous avons très certainement tort de faire des demi-dieux. Le plus déshérité des hommes a pu être le révélateur de joie, le libérateur des captifs ; tel est, dans l'amitié vraie, dans l'amour, le don de celui qui aime, à celui qu'il aime et dont il est aimé. Chacun est en puissance l'annonciateur de la bonne nouvelle ; chacun peut faire cette étrange expérience en vertu de laquelle ce qu'on annonce aux autres en se l'annonce aussi à soi-même. Toute joie donnée est une joie reçue ; toute joie partagée illumine le monde, opérant ainsi l'impensable miracle de la multiplication et de la transmutation des sens de l'univers". La vertu de force. P.U.F. 1967, p. 64-65. Indications de lecture: Cf.
|