Textes philosophiques

Georges Gusdorf   la liberté du citoyen et l'esclavage en Grèce


    "Il est vrai que cette liberté militante et citoyenne ne revêt nullement l'acception moderne qu'évoquent aujourd'hui le thème de l'habeas corpus ou celui des droits de l'homme. [66] Fustel de Coulanges insistait vigoureusement sur la subordination de l'homme à l'égard de l'État dans la cité antique, « C'est une erreur, affirmait-il, que d'avoir cru que dans les cités anciennes l'homme jouissait de la liberté. Il n'en avait pas même l'idée. Il ne croyait pas qu'il pût exister de droits vis-à-vis de la cité et de ses dieux (...) Avoir des droits politiques, voter, nommer des magistrats, pouvoir être archonte, voilà ce qu'on appelait la liberté ; mais l'homme n'en était pas moins asservi à l'État. » L'existence individuelle n'est pas un centre de valeur. Elle est définie pourtant par un statut juridique, qui reconnaît aux plus favorisés un ensemble de privilèges. Ce sont ces privilèges qui se trouvent à la base de l'idée antique de liberté.
Dans la perspective ainsi restreinte, l'homme libre, c'est le citoyen, mais il s'en faut de beaucoup que tous les habitants de la cité soient libres et citoyens. La liberté demeure un privilège aristocratique, car la civilisation antique tout entière repose sur l'esclavage, qui est le prix payé par beaucoup pour le luxe de quelques-uns. Nous nous heurtons ici à un opposition fondamentale entre notre monde et le monde ancien le concept de liberté met en cause un ensemble de tradition et d'institutions et de proche en proche le genre de vie dans son ensemble. Les esclaves, cheptel indispensable à la bonne marche de la cité, sont des instruments de travail ; ils ne relèvent pas de l'anthropologie. ...

     Seulement l'existence d'une catégorie de sous-hommes voués à l'accomplissement des besognes indispensables à la cité, paraît avoir des répercussions sur l'idéal grec de l'homme libre. Un préjugé persistant réprouve le travail comme une occupation indigne d'un citoyen. Selon Gustave Glotz, « l'ouvrier est un être dégradé. Jamais il n'aura une pleine valeur d'homme. La vie sédentaire, loin du grand air et de la palestre, déforme le corps courbé sur l'établi ou le comptoir. La passion du lucre empêche l'esprit de se cultiver ; l'habitude d'exécuter de petits ouvrages le rapetisse. L'âme tout entière, absorbée dans la poursuite d'un gain sordide, se ferme aux pensées hautes et belles ; par la soumission à la volonté d'autrui, elle s'abaisse et s'aplatit. Un citoyen, cela ? Pas même un homme libre".

Signification humaine de la liberté. p. 66.

Indications de lecture:

Voir la mise aux point anti-historique d'Hannah Arendt.

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