Textes philosophiques

Mark  Hunyadi    la position constructiviste


     Si l’on adopte en éthique la position radicalement antiréaliste qui est la nôtre – selon laquelle toutes les propriétés morales qui articulent notre univers normatif sont des propriétés émergentes du monde humain, et non de propriétés idéales ayant une existence indépendante –, alors comment trouver des critères de légitimité qui pourraient freiner l’énergie constructiviste de l’intentionnalité morale humaine? Pouvons-nous faire tout ce que nous voulons, du simple fait que nous le voulons? Et, en l’occurrence, appliqué au cas de l’ingénierie génétique, pourquoi le constructivisme ne devrait-il pas s’assumer jusqu’au bout, et affirmer que, si le monde humain est une construction de l’homme, l’homme lui-même pourrait être, sans métaphore, construit? La réponse à ces questions cruciales a déjà été donnée: seul e contexte moral objectif peut à chaque fois nous fournir les critères de légitimité dont nous avons besoin. Le contexte moral objectif a été tissé, façonné par nos prédécesseurs, et il est ce dans quoi nous sommes dès toujours. Il est là, nous ne pouvons pas le transcender, même par la pensée, tout aussi peu que nous pouvons imaginer une couleur que nous n’avons jamais vue. Ne répondant à aucune nécessité préexistante, le contexte moral objectif n’en est pas moins notre horizon nécessaire. Se référer à lui comme source et ressource de nos critères de légitimité, ce n'est pas, comme on le croit trop facilement (trop platoniciennement) se référer à quelque chose d’instable, de fluant, de remodelable à notre guise, et qu’il faudrait pour cette raison même renforcer par divers arguments de soutènement qui lui donneraient stabilité et consistance. Que le monde humain – le monde moral comme le monde matériel – soit un monde construit n’implique pas qu’il aurait pu être construit n’importe comment, ni qu’on puisse le reconstruire à notre gré; de même, que les systèmes complexes de règles qui le régissent soient des règles instituées, et en ce sens des conventions, n’implique nullement que ces règles soient arbitraires. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est de pure convention de mesurer en mètres plutôt qu’en pieds; mais nous voyons bien en même temps qu’un arbitraire limité adhère à cette convention, car, eu égard au genre de choses que nous avons à mesurer dans notre monde, ces deux systèmes de mesure sont tout-à-fait comparables. C’est même pour cela qu’ils le sont: les deux sont adaptés à nos besoins, à notre environnement mesurable et au degré de précision qui y est requis. Il y a donc bien un sens important où ils ne sont pas arbitraires. Que nous refusions d’une manière générale de parler d’une nature humaine fixe ne veut en conséquence pas dire qu’il faille concevoir l’homme et son monde comme malléables à volonté.»
 

Je est un clone - l’éthique à l’épreuve des biotechnologies, Seuil, 2004, pp 69-70.

Indications de lecture:

Philosophe et éthicien, qui examine avec beaucoup de pénétration les enjeux moraux liés au clonage.


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