|
Textes philosophiquesAldous Huxley mon incrédulité à l'égard de la psychanalyse » Ma profonde
incrédulité à l’égard de la psychanalyse prit naissance il y a maintenant
plusieurs années à la lecture de la théorie freudienne de l’interprétation
des rêves. C’est le mécanisme de la symbolique, par lequel l’analyste
transforme les données évidentes pour en faire le contenu d’un rêve enfoui,
qui ébranla le peu de foi que j’aurais pu accorder au système. Il me sembla,
alors que je parcourais ces listes de symboles et ces obscènes
interprétations allégoriques de rêves somme toute simples, que j’avais déjà
rencontré ce genre de procédé auparavant. Je me souvins par exemple de cette
interprétation démodée du Cantique des cantiques ; les charmants bestiaires
dont nos ancêtres au Moyen Âge se servaient pour apprendre les grandes
leçons d éthique contenues dans l’histoire naturelle se rappelèrent à mon
souvenir. J’ai toujours douté que le léopard soit vraiment un symbole vivant
du Christ (ou, comme l’affirment d’autres bestiaires, celui du Diable). Et,
même dans ma prime enfance, je n’ai jamais été totalement convaincu que la
tendre demoiselle du Cantique des cantiques incarnât prophétiquement
l’Église et son amoureux, le Sauveur. Pourquoi accepterais-je alors comme
valide le symbolisme du docteur Freud ? 11 n'y a pas plus de raison de
croire que monter des escaliers ou voler dans le ciel soient des rêves
équivalents au coït que de croire que la jeune fille du Cantique des
cantiques représente l’Église du Christ. D’un côté, nous trouvons
l’affirmation de quelque très pieux théologien qu'une chanson d’amour
apparemment scandaleuse est en fait, si nous acceptons de l’interpréter dans
le bon sens, l’expression d’une innocente et effectivement tout à fait
louable aspiration vers Dieu. De l'autre, nous avons un médecin soutenant
qu’une innocente action faite en rêve est en fait, quand on l’interprète de
la bonne manière, le symbole de l’acte sexuel. Aucune de ces deux
explications ne fournit la moindre preuve ; chacune par contre nous
abandonne aux mains d’une affirmation aussi plate qu'infondée. Dans tous les
cas, ce ne sont que ceux qui ont la volonté de croire qui ont le besoin de
croire, et il n’y a là aucune preuve qui permette d'obtenir l'assentiment du
sceptique. Qu'une chose aussi fantaisiste que cette théorie de
l’interprétation par le biais des symboles (qui sont propres à signifier
absolument tout suivant l'humeur de l’analyste) ait pu un jour être
considérée comme possédant même une once de valeur scientifique, cela est
vraiment assez incroyable. On pourra noter en passant qu’alors que tous les
psychanalystes s’accordent à dire que les rêves ont la plus haute importance
ils diffèrent profondément dans leurs méthodes d’interprétation. Freud
découvre des désirs sexuels refoulés dans tous les rêves ; Rivers y voit la
résolution d'un conflit mental ; Adler, la volonté de pouvoir ; et Jung, un
peu de tout cela mélangé. Les psychanalystes donnent l’impression de vivre
dans le merveilleux univers transcendantal des philosophes, où tout le monde
a raison, où tout est vrai, où toute contradiction s’apaise. Ils peuvent
bien se permettre de laisser tomber un sourire de pitié sur les praticiens
d’autres sciences, qui pataugent dans l’univers boueux où seule une des deux
possibilités d'une contradiction peut être tenue pour vraie à un moment
donné. Publié dans The forum, 1925, p. 313 à 320., puis dans la revue The Adlephi en mai 1925. Inséré dans Le livre noir de la psychanalyse, p. 406 sq. Indications de lecture:Il ne faut pas réduire Huxley à son seul roman "le meilleur des mondes". Il a écrit des essais. Son frère Thomas Huxley est un célèbre biologiste. Cet article écrit en 1925 est remarquablement lucide. A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z
philosophie.spiritualite@gmail.com |