Textes philosophiques


Axel Kahn        la relation science et technique


   "Il n'y a pas de contestation générale de l’aventure de la connaissance. D’ailleurs, les disciplines perçues comme parfaitement indépendantes de tout dessein militaro-industriel et se tenant à l'écart des enjeux de compétition économique restent fort populaires : la paléontologie, l’astronomie et l’astrophysique, l’écologie scientifique et la botanique, la médecine, etc. Les réserves d’enthousiasme persistent s’il s’agit de proposer aux jeunes de s’engager dans une voie leur permettant de créer du concept, d’accumuler des connaissances au terme d’un exercice de la liberté.
     En aval, se pose la question de l’usage du pouvoir conféré par cette accession à la connaissance. Il peut être de nature technique, augmentant la capacité d'agir sans déterminer la finalité de l'action. En d'autres tenues, la technologie peut toujours être mise au service d'un projet fondé sur des valeurs et des objectifs explicites. En revanche, à l'inverse de ce que 1 on observe trop souvent, et qui fait l’objet d’une critique multiforme, notamment depuis Heidegger, elle ne véhicule en elle-même aucune valeur et ne constitue pas un projet en soi. Il convient par conséquent de refonder un projet de société qui tire toutes les conséquences d'une dérive de la maîtrise technique aboutissant trop souvent à un assujettissement à la technique, et de le remplacer par l’image d'une conquête libre et démocratique des moyens de réaliser les objectifs dont le bien-fondé a pu faire l'objet d'une large délibération.

     Les jeunes candidats aux carrières d'enseignement supérieur et de recherche doivent être conscients de ce que l’objet de la science est la recherche du Vrai, ou au moins du probable. En revanche, elle n'a pas la mission ni les moyens de dire le Juste et le Bon. Identifier et expliciter les valeurs pour la défense desquelles on pense légitime d’utiliser les pouvoirs conquis grâce au progrès scientifique procède d'une autre démarche de l'esprit. A ce stade, le rôle du chercheur et de l'enseignant est éminent. Percevant les premiers les conséquences possibles des techniques maîtrisées, ils en informent la société pour qu'elle se saisisse de la question et en débatte. Le scientifique participe ensuite, en tant que citoyen, au débat dont l’objectif est d’identifier les fins légitimes, et de se prémunir de b utilisation des pouvoirs de la science au détriment des objectifs discutés et affirmés.Sur cette base, le principe de précaution peut être redéfini pour s'intégrer à une conception responsable du rôle de la science dans la société. Le progrès du savoir doit en effet permettre de mieux identifier, entre plusieurs solutions techniques, celle qui correspond à la précaution maximale".

Raisonnable et humain? Nil, p. 133 sq.

Indications de lecture :

    La réfutation en règle de ce point de vue est chez le spécialiste de la technique Jacques Ellul. De fait, la technique est sa propre finalité, elle n'a que faire de la morale et personne ne la contrôle. L'argument de Heidegger, plus exactement, met l'accenté sur la volonté de puissance immanente à la technique. La "large délibération" de fait n'existe pas et elle ne fait pas le poids face à la fuite en avant perpétuelle de la technique. L'image de la locomotive lancée à toute vapeur et il n'y a personne au poste de commandes. Tout au plus les "comités d'éthique" servent de jardins d'acclimation pour les nouvelles manipulations scientifiques. Les théoriciens de la spirale dynamique diraient que tant que nos sociétés sont dominées par le Même Orange (voir leçons) ce mouvement est imparable. Il exclut la prise de conscience. Voir Ken Wilber. Voir aussi Hans Jonas, Le Principe responsabilité.

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