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Claude  Lévi-Strauss   sur les colonisateurs


      Jamais l'humanité n'avait connu aussi déchirante épreuve, et jamais plus elle n'en connaîtra de pareille, à moins q'un jour, à des millions de kilomètres du nôtre, un autre globe ne se révèle, habité par des êtres pensants. Encore savons-nous que ce distances sont théoriquement franchissables, tandis que les premiers navigateurs craignent d'affronter le néant. Pour mesurer le caractère absolu, total, intransigeant des dilemmes dans lesquels l'humanité du XVIme siècle se sentait enfermée, il faut se rappeler quelques incidents. Dans cette Hispaniola (aujourd'hui Haïti et Saint-Domingue) où les indigènes, au nombre de cent mille en 1492, n'étaient plus que deux cents un siècle après, mourant d'horreur et de dégoût pour la civilisation européenne plus encore que sous la variole et les coups, les colonisateurs envoyaient commission sur commission afin de déterminer leur nature. (…)On n'était même pas sûr que ce fussent des hommes, et non point des créatures diaboliques ou des animaux. Tel était le sentiment du roi Ferdinand, puisqu'en 1512 il importait des esclaves blanches dans les Indes occidentales dans le seul but d'empêcher les Espagnols d'épouser des indigènes “qui sont loin d'être des créatures raisonnables”. Devant les efforts de Las Casas pour supprimer le travail forcé, les colons se montraient moins indigné qu'incrédules: “Alors, s'écriaient-ils, on ne peut même plus se servir de bêtes de somme?”

Tristes Tropiques, p. 81.

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