Textes philosophiques
Denis Meadows changer les
croyances pour changer le système économique
Le sommet de la Terre démarre mercredi à Rio. Vous qui avez
connu la première conférence, celle de Stockholm, en 1972, que vous inspire
cette rencontre, quarante ans plus tard ?
Comme environnementaliste, je trouve stupide l’idée même que des dizaines de
milliers de personnes sautent dans un avion pour rejoindre la capitale
brésilienne, histoire de discuter de soutenabilité. C’est complètement fou.
Dépenser l’argent que ça coûte à financer des politiques publiques en faveur
de la biodiversité, de l’environnement, du climat serait plus efficace. Il
faut que les gens comprennent que Rio + 20 ne produira aucun changement
significatif dans les politiques gouvernementales, c’est même l’inverse.
Vous n’y croyez plus ?
Tant qu’on ne cherche pas à résoudre
l’inéquation entre la recherche perpétuelle de croissance économique et la
limitation des ressources naturelles, je ne vois pas à quoi ça sert. A la
première conférence, en 1972, mon livre les Limites à la croissance (dont
une nouvelle version enrichie a été publiée en mai) avait eu une grande
influence sur les discussions. J’étais jeune, naïf, je me disais que si nos
dirigeants se réunissaient pour dire qu’ils allaient résoudre les problèmes,
ils allaient le faire. Aujourd’hui, je n’y crois plus !
L’un des thèmes centraux de la
conférence concerne l’économie verte. Croyez-vous que ce soit une voie à
suivre ?
Il ne faut pas se leurrer : quand quelqu’un se préoccupe d’économie
verte, il est plutôt intéressé par l’économie et moins par le vert. Tout
comme les termes soutenabilité et développement durable, le terme d’économie
verte n’a pas vraiment de sens. Je suis sûr que la plupart de ceux qui
utilisent cette expression sont très peu concernés par les problèmes
globaux. La plupart du temps, l’expression est utilisée pour justifier une
action qui aurait de toute façon été mise en place, quelles que soient les
raisons.
Vous semblez penser que
l’humanité n’a plus de chance de s’en sortir ?
Avons-nous un moyen de maintenir le mode
de vie des pays riches ? Non. Dans à peine trente ans, la plupart de nos
actes quotidiens feront partie de la mémoire collective, on se dira : «Je me
souviens, avant, il suffisait de sauter dans une voiture pour se rendre où
on voulait», ou «je me souviens, avant, on prenait l’avion comme ça». Pour
les plus riches, cela durera un peu plus longtemps, mais pour l’ensemble des
populations, c’est terminé. On me parle souvent de l’image d’une voiture
folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous
allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord
d’une voiture qui s’est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une
telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable.
La démographie ne sera pas
abordée à Rio + 20. Or, pour vous, c’est un sujet majeur…
La première chose à dire, c’est que les
problèmes écologiques ne proviennent pas des humains en tant que tels, mais
de leurs modes de vie. On me demande souvent : ne pensez-vous pas que les
choses ont changé depuis quarante ans, que l’on comprend mieux les problèmes
? Je réponds que le jour où l’on discutera sérieusement de la démographie,
alors là, il y aura eu du changement.
N’avez-vous pas l’impression de
vous répéter ?
Les
idées principales sont effectivement les mêmes depuis 1972. Mais je vais
vous expliquer ma philosophie : je n’ai pas d’enfants, j’ai 70 ans, j’ai eu
une super vie, j’espère en profiter encore dix ans. Les civilisations
naissent, puis elles s’effondrent, c’est ainsi. Cette civilisation
matérielle va disparaître, mais notre espèce survivra, dans d’autres
conditions. Moi, je transmets ce que je sais, si les gens veulent changer
c’est bien, s’ils ne veulent pas, je m’en fiche. J’analyse des systèmes,
donc je pense le long terme. Il y a deux façons d’être heureux : avoir plus
ou vouloir moins. Comme je trouve qu’il est indécent d’avoir plus, je
choisis de vouloir moins.
Quel système économique
fonctionnerait d’après vous ?
Le système reste un outil, il n’est pas un objectif en soi. Nous avons bâti
un système économique qui correspond à des idées. La vraie question est de
savoir comment nous allons changer d’idées. Pour des pans entiers de notre
vie sociale, on s’en remet au système économique. Vous voulez être heureuse
? Achetez quelque chose ! Vous êtes trop grosse ? Achetez quelque chose pour
mincir ! Vos parents sont trop vieux pour s’occuper d’eux ? Achetez-leur les
services de quelqu’un qui se chargera d’eux ! Nous devons comprendre que
beaucoup de choses importantes de la vie ne s’achètent pas. De même,
l’environnement a de la valeur en tant que tel, pas seulement pour ce qu’il
a à nous offrir".
Interview sur libération.
Indications de lecture:
Cf.
Philosophie de
l'économie, ch. IV. Cf. Le célèbre rapport halte à la
croissance de 1972.
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