Textes philosophiques
Basarab Nicolescu grandeur
et décadence du scientisme
La science
moderne est née d'une rupture brutale avec l'ancienne vision du monde. Elle
est fondée sur l'idée, surprenante et révolutionnaire pour l'époque, d'une
séparation totale entre le sujet connaissant et la Réalité, supposée être
complètement indépendante du sujet qui l'observe. Mais, en même temps, la
science moderne se donnait trois postulats fondamentaux, qui prolongeaient,
à un degré suprême, sur le plan de la raison, la quête de lois et de
l'ordre : 1. L'existence des lois universelles, de caractère
mathématique. 2. La découverte de ces lois par l'expérience
scientifique. 3. La reproductibilité parfaite des données
expérimentales. Un langage artificiel, différent du langage de la tribu —
les mathématiques — était ainsi élevé, par Galilée, au rang de langage
commun entre Dieu et les hommes. Les succès extraordinaires de la
physique classique, de Galilée, Kepler et Newton jusqu'à Einstein, ont
confirmé la justesse de ces trois postulats. En même temps, ils ont
contribué à l'instauration d'un paradigme de la simplicité, qui est devenu
prédominant au seuil du XIXe siècle. La physique classique est parvenue à
bâtir, au cours de deux siècles,une vision du monde apaisante et optimiste
prête à accueillir, sur le plan individuel et social, le surgissement de
l'idée de progrès. [...] Si l'Histoire se soumet, comme la Nature, à
des lois objectives et déterministes, on peut faire table rase du passé, par
une révolution sociale ou par tout autre moyen. En effet, tout ce qui compte
est le présent, en tant que condition initiale mécanique. En imposant
certaines conditions initiales sociales bien déterminées, on peut prédire
d'une manière infaillible l'avenir de l'humanité. Il suffit que les
conditions initiales soient imposées au nom du bien et du vrai — par
exemple, au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité — pour bâtir
la société idéale. L'expérience a été faite à l'échelle planétaire, avec les
résultats que nous connaissons. Combien de millions de morts pour quelques
dogmes ? Combien de souffrances au nom du bien et du vrai ? Comment se
fait-il que des idées, si généreuses à leur origine, se soient transformées
en leurs contraires ? [...] L'objectivité, érigée en critère suprême
de vérité, a eu une conséquence inévitable : la transformation du sujet en
objet. La mort de l'homme, qui annonce tant d'autres morts, est le prix à
payer pour une connaissance objective. L'être humain devient objet — objet
de l'exploitation de l'homme par l'homme, objet d'expériences d'idéologies
qui se proclament scientifiques, objet d'études scientifiques pour être
disséqué, formalisé et manipulé. L'homme-Dieu est un homme-objet dont la
seule issue est de s'autodétruire. [...] Au fond, au-delà de l'immense
espoir qu'il a soulevé, le scientisme nous a légué une idée persistante et
tenace : celle de l'existence d'un seul niveau de Réalité [...]
La
transdisciplinarité - Manifeste, Éditions du Rocher, Monaco - Collection
"Transdisciplinarité".
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