Textes philosophiques
Henri Poincaré les axiomes
sont des conventions
Devons-nous conclure que les axiomes de la géométrie sont des vérités
expérimentales ? Mais on n'expérimente pas sur des droites ou des
circonférences idéales ; on ne peut le faire sur des objets matériels. Sur
quoi porteraient donc les expériences qui serviraient de fondement à la
géométrie ? La réponse est facile. Nous avons vu plus haut que l'on
raisonne constamment comme si les figures géométriques se comportaient à la
manière des solides. Ce que la géométrie emprunterait à l'expérience, ce
seraient donc les propriétés de ces corps. Les propriétés de la lumière
et sa propagation rectiligne ont été aussi l'occasion d'où sont sorties
quelques-unes des propositions de la géométrie, et en particulier celles de
la géométrie projective, de sorte qu'à ce point de vue on serait tenté de
dire que la géométrie métrique est l'étude des solides et que la géométrie
projective est celle de la lumière. Mais une difficulté subsiste, et elle
est insurmontable. Si la géométrie était une science expérimentale, elle ne
serait pas une science exacte, elle serait soumise à une continuelle
révision. Que dis-je ? elle serait dès aujourd'hui convaincue d'erreur
puisque nous savons qu'il n'existe pas de solide rigoureusement invariable.
Ce sont des conventions ; notre choix, parmi toutes les conventions
possibles, est guidé par des faits expérimentaux ; mais il reste libre et
n'est limité que par la nécessité d'éviter toute contradiction. C'est ainsi
que les postulats peuvent rester rigoureusement vrais quand même les lois
expérimentales qui ont déterminé leur adoption ne sont qu'approximatives.
En d'autres termes, les axiomes de la géométrie (je ne parle pas de ceux de
l'arithmétique) ne sont que des définitions déguisées. Dès lors, que
doit-on penser de cette question : La géométrie euclidienne est-elle vraie ?
Elle n'a aucun sens. Autant demander si le système métrique est vrai et
les anciennes mesures fausses ; si les coordonnées cartésiennes sont vraies
et les coordonnées polaires fausses. Une géométrie ne peut pas être plus
vraie qu'une autre ; elle peut seulement être plus commode. Or la géométrie
euclidienne est et restera la plus commode : 1°) Parce qu'elle est la
plus simple ; et elle n'est pas telle seulement par suite de nos habitudes
d'esprit ou de je ne sais quelle intuition directe que nous aurions de
l'espace euclidien ; elle est la plus simple en soi de même qu'un polynôme
du premier degré est plus simple qu'un polynôme du second degré ; les
formules de la trigonométrie sphérique sont plus compliquées que celles de
la trigonométrie rectiligne, et elles paraîtraient encore telles à un
analyste qui en ignorerait la signification géométrique. 2°) Parce
qu'elle s'accorde assez bien avec les propriétés des solides naturels, ces
corps dont se rapprochent nos membres et notre œil et avec lesquels nous
faisons nos instruments de mesure.
La Science
et l'Hypothèse,
chap. III, 1902.
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