Textes philosophiques

Teilhard de Chardin      l'étoffe du monde est spirituelle


    […] Pour des raisons évidentes de commodité intellectuelle et pratique, la Science a toujours cherché, depuis ses origines, à expliquer le Monde (c'est-à-dire à en donner une représentation cohérente totale) à partir de la Matière. Or voici que dans cet effort de synthèse elle vient, de plus en plus clairement, se heurter à un obstacle insurmontable : la Vie. Il faut bien enfin nous rendre à l'évidence. Prise en remontant, à partir des déterminismes mécaniques, la Vie se présente aux ascensions de la Physique comme une série de marches infranchissables. Les animaux, et plus spécialement l'Homme, en qui émergent décidément les phénomènes de spontanéité et d'immanence, sont impossibles à intégrer dans un système purement mécaniciste de la Nature. Impossible par ailleurs de les laisser en dehors de nos constructions : ce serait la faillite de la Science. Que faire pour sortir de l'impasse? Une seule issue se présente : renverser notre direction de marche. Nous avons cherché jusqu'ici à atteindre et à reproduire l'Esprit en venant de la Matière. Il s'agit désormais par un processus inverse, de rejoindre et de reconstituer la Matière en redescendant de l'Esprit choisi comme substance primordiale des choses. Posons en principe que seuls, le spontané et le conscient (si masqués soient-ils par un état de division et de diffusion extrêmes) existent à l'origine, - en sorte que les déterminismes où nous aimions à placer l'essence du Monde ne soient plus qu'un voile de rigidité jeté par le jeu des grands nombres sur une masse de libertés élémentaires. Suivant cette ligne, les difficultés disparaissent : le chemin s'aplanit, et le passage devient possible entre les deux pôles conscient et inconscient de l'Univers. Le Cosmos serait physiquement incapable de contenir' l'Homme s'il était à base de Matière. Donc, pouvons-nous conclure (et ceci est le premier pas), il est, dans l'intime de lui-même, d'étoffe spirituelle. »

      Et maintenant (nous voici au deuxième pas) quelle doit être la texture de cette étoffe cosmique spirituelle pour que l'Homme, devenu possible dans la Nature, occupe effectivement dans le système des choses la position particulière que l'expérience révèle?

     S'il est une évidence où confluent les résultats les plus assurés de la Biologie « de position », c'est assurément :

     a) qu'autour de l'Homme le Spirituel (c'est-à-dire les éléments constitutifs de la Biosphère) se disposent radialement

     b) cette distribution rayonnante tenant, non pas à un simple effet de perspective (comme il arrive des éléments d'un paysage) mais à une répartition naturelle des êtres vivants;

     c) cette répartition, à son tour, n'étant pas due à quelque groupement ou ordonnance statiques, mais résultant d'un graduel établissement. En d'autres termes, à partir de l'Homme pris comme centre, le Spirituel va manifestement se dégradant, autour, aussi bien qu'en arrière de nous. Que peut bien signifier ce phénomène?

       Une seule interprétation paraît capable de rendre compte à la fois de ces diverses apparences. Et c'est d'admettre que les nappes spirituelles de l'Univers ont subi un mouvement d'ensemble les entraînant vers une concentration grandissante de la quantité de conscience qu'elles renferment. L'aspect du firmament serait inintelligible pour l'astronome sans la giration des masses nébulaires. La texture d'une tige ne s'expliquerait pas sans le développement de la plante. Pareillement, la situation de l'Homme dans la nature ne peut s'expliquer sans un effet de croissance psychique. Non, l'Univers n'est pas né immobile; mais sa structure trahit (au moins dans le Passé) une évolution globale de sa masse vers une intériorisation toujours plus grande, aboutissant finalement à la réflexion. Ceci posé, la conclusion que nous annoncions se découvre d'elle-même. Placée au front d'avancée de l'onde cosmique, l'Energie Humaine prend un intérêt sans proportion avec la faiblesse apparente de ses dimensions. La Noosphère est une pellicule presque imperceptible si on la compare aux grandeurs astrales. En réalité, cette mince surface n'est rien moins que la forme la plus progressive sous laquelle il nous soit donné de saisir et de contempler l'Énergie Universelle. Dans cette enveloppe ténue passe la secrète essence des immensités qu'elle frange : la note supérieure atteinte par la vibration des mondes. Ce qui veut dire deux choses : La première, c'est qu'en direction la marche jusqu'ici suivie par le Cosmos nous est indiquée par la flèche humaine, - en sorte que par l'analyse des conditions de notre action nous pouvons espérer découvrir les conditions fondamentales auxquelles est assujetti le fonctionnement général de l'Univers. La seconde, c'est qu'en grandeur nous tenons concentrée dans la masse humaine, la portion la plus vive, la quintessence, le trésor et l'espérance du Monde…

      L'énergie humaine, t. 6, p. 151-152.

A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z.


Bienvenue| Cours de philosophie| Suivi des classes| Textes philosophiques| Liens sur la philosophie| Nos travaux| Informations
 philosophie.spiritualite@gmail.com