Textes philosophiques
Ken Wilber le pur regard témoin
Ken
Wilber : Alors si je dis « qui êtes-vous ? », vous allez commencer à vous
décrire – vous êtes une mère (ou un père), une épouse (ou un mari), une
amie; vous êtes avocate, commis, enseignante ou gérante. Il y a des choses
que vous aimez et d'autres que vous n'aimez pas. Vous préférez tel type
d'alimentation, vous avez tendance à avoir tels dé-sirs et telles
impulsions, etc.
Q : Oui, je ferais la liste
de toutes les choses que je sais au sujet de moi-même.
KW : Vous feriez la
liste des « choses que vous savez au sujet de vous-même ».
Q : Oui.
KW : Toutes ces choses
que vous savez au sujet de vous-même sont des objets dans votre conscience.
Ce sont des images, des idées, des concepts, des désirs ou des sentiments
qui défilent devant votre conscience, non ? Toutes ces choses sont des
objets dans votre conscience.
Q : Oui.
KW : Tous ces objets
dans votre conscience ne sont précisément pas le Soi observateur. Toutes ces
choses que vous savez au sujet de vous-même ne sont précisément pas le
véritable Soi. Elles ne sont pas le Regard*; elles sont simplement des
choses qui peuvent être vues. Et tous ces objets que vous décrivez lorsque
vous vous « décrivez vous-même » ne sont en réalité pas du tout votre
véritable Soi ! Ce ne sont que d'au-tres objets, qu'ils soient internes ou
externes. Ils ne sont pas le vrai Regard qui se pose sur ces objets. Ils ne
sont pas le véritable Soi. Alors lorsque vous vous décrivez vous-même en
faisant la liste de tous ces objets, vous donnez en définitive une liste «
d'erreurs sur la personne », une liste de mensonges, une liste de ce que,
précisément, vous n'êtes pas.
Q/ Alors qui est ce
Regard-là ? Qui est ou quel est ce Soi observateur ?
Ramana Maharshi l'appelait le Témoin, le Je-Je, parce qu'il est conscient du
je individuel ou moi, mais ne peut pas lui-même être vu. Alors qu'est ce
Je-Je, ce Témoin causal, ce pur Soi observateur ?
Ce Soi profondément intérieur est témoin du monde extérieur, et il est
également témoin de toutes vos pensées intérieures. Ce Regard est témoin de
l'ego, est témoin du corps et est témoin du monde naturel. Tout cela défile
« devant » ce Regard. Mais ce Regard ne peut pas lui-même être vu. Si vous
voyez quelque chose, c'est seulement encore davantage d'objets. Ces objets
sont précisément ce que n'est pas ce Regard, ce que n'est pas le Témoin.
Alors vous poursuivez votre examen : « Qui suis-je ? » « Qui est ou quel est
ce Regard qui voit et qui ne peut pas lui-même être vu ? » Vous « reculez »
simplement plus loin dans votre conscience et vous vous dés-identifiez de
tous et chacun des objets que vous voyez ou pouvez voir.
Le Soi, le Regard ou le
Témoin n'est pas une pensée en particulier – je peux voir cette pensée comme
un objet. Le Regard n'est pas une sensation particulière – j'en suis
conscient en tant qu'objet. Le Soi observateur n'est pas le corps, n'est pas
l'esprit, n'est pas l'ego – je peux voir toutes ces choses comme des objets.
Qu'est-ce qui regarde tous ces objets ? Qu'est-ce qui, en vous, en ce
moment, regarde tous ces objets – regarde la nature et ses paysages, regarde
le corps et ses sensations, regarde le mental et ses pensées ? Qu'est-ce qui
regarde tout ça ?
Essayez de vous ressentir vous-même maintenant – ayez vraiment l'impression
d'être vous-même – et remarquez, ce moi est juste un autre objet dans la
conscience. Ce n'est même pas un véritable sujet, même pas un véritable soi,
ce n'est qu'un autre objet dans la conscience. Ce petit moi et ses pensées
défilent devant vous exactement comme des nuages flottent et traversent le
ciel. Et quel est le véritable vous qui est témoin de tout cela ? Qui
observe votre petit moi objectif ? Qui est ou quel est cela ?
À mesure que vous remontez dans cette pure Subjectivité, ce pur Regard, vous
ne le verrez plus comme un objet – vous ne pouvez pas le voir en tant
qu'objet, parce que ce n'est pas un objet ! Ce n'est rien que vous puissiez
voir. À la place, tandis que vous reposez calmement dans cette conscience
qui observe – regardant le mental, le corps et la nature flotter devant vous
–, vous pourriez commencer à remarquer que ce que vous ressentez en réalité
est simplement une impression de liberté, une impression de libération, une
impression de n'être liée à aucun des objets dont vous êtes le calme témoin.
Vous ne voyez rien, vous reposez simplement dans cette vaste liberté.
Devant vous, les nuages défilent, vos pensées défilent, vos sensations
corporelles défilent, et vous n'êtes rien de cela. Vous êtes une immensité
de liberté à travers la-quelle tous ces objets vont et viennent. Vous êtes
une ouverture, une éclaircie, une Va-cuité, une vaste spaciosité, dans
laquelle tous ces objets vont et viennent. Les nuages vont et viennent, les
sensations vont et viennent, les pensées vont et viennent – et vous n'êtes
rien de cela; vous êtes ce vaste sentiment de liberté, cette vaste Vacuité,
cette vaste ouverture, à travers laquelle la manifestation s'élève, reste un
moment, et repart.
Alors vous commencez à remarquer simplement que ce « Regard » en vous qui
est témoin de tous ces objets n'est lui-même qu'une vaste Vacuité. Il n'est
pas une chose, pas un objet, rien que vous puissiez voir ou dont vous
puissiez vous emparer. Il est plutôt le sentiment d'une vaste Liberté, parce
qu'il n'est pas en soi une chose qui entre dans le monde objectif du temps,
des objets, du stress et des contraintes. Ce pur Témoin est une pure Vacuité
dans laquelle tous ces sujets et objets individuels s'élèvent, restent un
moment et passent.
Alors ce pur Témoin
n'est rien que l'on puisse voir ! Tenter de voir le Témoin ou de, le
connaître en tant qu'objet – ce n'est encore qu'accaparer, chercher et
rester accroché dans le temps. Le Témoin n'est pas là-bas dehors, dans le
flot; il est cette immensité de Liberté dans laquelle le flot s'élève. Vous
ne pouvez pas le saisir et dire « Ha ! Ha ! Je le vois ! ». Il est plutôt le
Regard et absolument rien qui puisse être vu. Tandis que vous reposez dans
cette Observation, tout ce que vous ressentez n'est qu'une vaste Vacuité,
une vaste Liberté, une Immensité – une ouverture ou une éclaircie
transparente dans laquelle tous ces petits sujets et tous ces petits objets
s'élèvent. Ces sujets et ces objets peuvent certainement être vus, mais leur
Témoin ne peut être vu. Leur Témoin est une absolue libération par rapport à
eux, une absolue Liberté qui n'est pas prisonnière de leurs agitations, de
leurs désirs, de leurs peurs, de leurs espoirs.
Naturellement, nous avons tendance à nous identifier à ces petits sujets et
à ces petits objets individuels – et c'est précisément là qu'est le problème
! Nous identifions le Regard à ces malheureuses petites choses qui peuvent
être vues. C'est le début de l'attachement et de la non liberté. Nous sommes
en réalité cette immensité de Liberté, mais nous nous identifions à des
objets et à des sujets non libres et limités, qui tous peuvent être vus, qui
tous souffrent, et dont aucun n'est ce que nous sommes.
Patanjali a donné une
description classique de l'attachement : « l'identification du Regard aux
instruments de la vues » – avec les petits sujets et les petits objets,
plutôt qu'avec l'ouverture, l'éclaircie ou la Vacuité dans laquelle ils
s'élèvent tous.
Lorsque nous reposons dans ce pur Témoin, nous ne voyons pas ce Témoin en
tant qu'objet. Tout ce que vous pouvez voir n'est pas lui. Il est plutôt
l'absence complète de tout sujet et de tout objet, il est la libération de
tout cela. Reposant dans le pur Témoin, il y a cette absence en toile de
fond, cette Vacuité, et cela est « vécu » non pas comme un objet, mais comme
une immensité de Liberté et de Libération des contractions de
l'identification à ces misérables petits sujets et petits objets qui entrent
dans le flot du temps et sont pulvérisés dans cet atroce torrent.
Lorsque vous reposez dans le pur Regard, dans le pur Témoin, vous êtes
invisible. Vous ne pouvez pas être vu. Aucune partie de vous ne peut être
vue, parce que vous n'êtes pas un objet. Votre corps peut être vu, votre
mental peut être vu, la nature peut être vue, mais vous n'êtes aucun de ces
objets. Vous êtes la pure source de la conscience, mais rien de ce qui
s'élève dans cette conscience. Alors vous subsistez en tant que conscience.
Les choses s'élèvent
dans la conscience, elles restent un moment et quittent, elles vont et
viennent. Elles s'élèvent dans l'espace, elles se déplacent dans le temps.
Mais le pur Témoin ne fait pas de va-et-vient. Il ne s'élève pas dans
l'espace, il ne se déplace pas dans le temps. Il est tel qu'il est; il est à
jamais présent et immuable. Il n'est pas un objet là-bas dehors, alors il
n'entre jamais dans le flot du temps, de l'espace, de la naissance, de la
mort. Toutes ces choses sont des expériences, des objets – toutes, elles
vont et toutes, elles viennent. Mais vous ne faites pas de va-et-vient; vous
n'entrez pas dans ce flot; comme vous avez conscience de tout cela, vous
n'êtes pas piégé dans tout cela. Le Témoin a conscience de l'espace,
conscience du temps – et il est par conséquent lui-même libre de l'espace,
libre du temps. Il est sans temps et sans espace – la Vacuité la plus pure à
travers laquelle défilent le temps et l'espace.
Et ce pur Regard est antérieur à la vie et à la mort, antérieur au temps et
à l'agitation, antérieur à l'espace et au mouvement, antérieur à la
manifestation – et même antérieur au Big Bang lui-même. Cela ne signifie pas
que le pur Soi existait à une époque antérieure au Big Bang, mais qu'il
existe antérieurement au temps, point. Il n'est simplement jamais entré dans
ce flot. Il a conscience du temps et par conséquent il est libre du temps –
il est absolument sans temps. Étant donné qu'il est sans temps, il est donc
éternel – ce qui ne signifie pas qu'il a un temps infini, mais qu'il est
complètement libre du temps.
Il n'est jamais né et ne mourra jamais. Il n'est jamais entré dans ce flot
temporel. Cette vaste Liberté est le grand Non Né dont Bouddha disait : « Il
y a un Non Né, non causé, non créé, non formé. S'il n'y avait pas ce Non Né,
non causé, non créé, non formé, il n'y aurait aucune libération du né, du
causé, du créé. » Reposer dans cette immensité de Liberté, c'est reposer
dans ce grand Non-Né, cette vaste Vacuité.
Et parce qu'il est
Non-Né, il est Non-Mortel. Il n'a pas été créé avec votre corps, il ne
périra pas lorsque votre corps périra. Non pas parce qu'il continue de vivre
après la mort de votre corps, mais plutôt parce qu'il n'est jamais entré
dans le flot du temps pour commencer. Il ne continue pas de vivre après
votre corps, il vit antérieurement à votre corps, toujours. Il ne continue
pas dans le temps à jamais, il est simplement antérieur au flot du temps
lui-même.
Espace, temps, objets – toutes ces choses défilent, simplement. Mais vous
êtes le Témoin, le pur Regard qui est lui-même pure Vacuité, pure Liberté,
pure Ouverture, la grande Vacuité à travers laquelle défile toute la parade,
sans jamais vous toucher, sans jamais vous blesser, sans jamais vous
consoler.
Et parce qu'il y a cette vaste Vacuité, ce grand Non-Né, vous pouvez
effectivement obtenir la libération du né et du créé, de la souffrance de
l'espace, du temps et des objets, du mécanisme de terreur inhérent à ces
fragments, de la vallée des larmes appelée le samsara."
Une
brève histoire du Tout, édition Mortagne.
Indications de lecture:
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H,
I,
J,
K,
L,
M,
N,
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P, Q,
R,
S,
T, U,
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