Textes philosophiques
Ken Wilber la grande confusion
autour du spirituel
"Le
monde vulgaire hurle déjà et avec un vacarme tellement assourdissant que les
voix plus justes sont à peine audibles. Le monde matérialiste déborde de
publicités, d’attractions, d’incitations hurlantes, de commerce criard, de
vagissements de bienvenue, d’invites aguichantes. Loin de moi l’intention
d’être dur : il est important d’honorer les engagements mineurs, mais on ne
peut ignorer que « âme » est devenu le mot le plus galvaudé dans les titres
des meilleurs ventes en librairie. Cependant « l’âme » dont parlent ces
livres n’est qu’un travestissement de l’ego. Dans l’appétit dévorant de
l’avidité translative, le mot « âme » a pris le sens non pas de ce qui est
éternel en nous, mais de ce qui en nous se débat à grands cris dans ce bas
monde. Ainsi, aussi absurde que cela puisse paraître, « prendre soin de son
âme » a fini par ne signifier rien d’autre que de se concentrer intensément
sur notre moi ardemment séparé. Le mot « spirituel » est sur toutes les
lèvres mais pour ne se référer généralement qu’à un sentiment profondément
égotique, comme « coeur » finit par signifier toute sensation sincère de
contraction intérieure.
Tout
cela, en vérité, n’est que le bon vieux jeu de la translation sur son trente
et un pour aller en ville. Cela serait plus qu’acceptable sans le fait
alarmant que toutes ces manoeuvres translatives sont dotées agressivement du
nom de transformation, lorsqu’en fait ce ne sont que de fringantes
translations. En d’autres termes, il semble que dans ce jeu de faire de
toute nouvelle translation une grande transformation, il y ait hélas une
profonde hypocrisie. Et le monde dans son ensemble, en Orient comme en
Occident, au Nord comme au Sud, est et a toujours été totalement sourd à
cette calamité.
Ainsi
donc si, devant l’amplitude de votre propre réalisation authentique, vous
vous prépariez à murmurer gentiment à l’oreille de ce monde presque sourd,
mon ami, je vous dis non. Vous devez hurler. Hurler depuis le tréfonds de
votre vision, comme vous le pouvez.
Non sans discrimination pourtant.
Procédons à ce cri transformateur avec prudence. Laissons les petites poches
de spiritualité transformatrice radicale, de spiritualité authentique
concentrer leurs efforts et transformer leurs étudiants. Laissons ces poches
commencer à exercer leur influence doucement, avec prudence, responsabilité
et humilité, et tout en embrassant une tolérance absolue pour tous les
points de vue, tenter néanmoins de défendre une spiritualité authentique,
véritable et intégrale, tout cela par l’exemple, par le rayonnement, par une
évidente délivrance, une libération manifeste. Que ces poches de
transformation persuadent le monde et ses individus réticents avec douceur,
défient leur légitimité, leurs translations qui limitent, et suscitent
l’éveil de la torpeur qui hante le monde dans son ensemble.
Que cela
commence ici, maintenant – avec vous, avec moi – avec notre engagement à
respirer dans l’infini jusqu’à ce que l’infini seul devienne l’unique
affirmation que le monde reconnaisse. Qu’une réalisation radicale irradie de
nos visages, hurle de nos cœurs et tonne de nos esprits, ce fait simple et
évident : que vous, dans l’immédiateté même de votre conscience présente,
êtes le monde dans sa totalité avec toute sa froideur et sa fièvre, toutes
ses gloires et sa grâce, tous ses triomphes et ses larmes. Vous ne regardez
pas le soleil, vous êtes le soleil; vous n’entendez pas la pluie, vous êtes
la pluie; vous ne touchez pas la terre, vous êtes la terre. Et dans cette
lumière simple et claire, que l’on ne peut remettre en cause, la translation
a cessé en tous les domaines, et vous vous retrouvez transformé en Coeur du
« Kosmos » lui-même et là, à ce moment précis, tout simplement, tout
tranquillement, tout est défait.
L’émerveillement et le remords vous seront alors complètement étrangers, de
même que le moi et les autres, le dedans et le dehors n’auront plus aucun
sens pour vous. Et dans ce choc de la reconnaissance – lorsque mon Maître
est mon Moi et le Moi est le « Kosmos » dans sa totalité – vous pénétrerez
doucement le brouillard de ce monde et le transformerez totalement en ne
faisant rien.
Et
alors, et seulement alors – avec compassion, soin et clarté, vous écrirez
enfin, sur la tombe d’un moi qui n’a jamais existé : Tout est Ati".
Une spiritualité qui
transforme,
article.
Indications de lecture:
Notez le rapporchement possible
avec Les deux sources de la morale et de la religion de Bergson.
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H,
I,
J,
K,
L,
M,
N,
O,
P, Q,
R,
S,
T, U,
V,
W, X, Y,
Z.
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