Textes philosophiques

Jeremy Bentham    devoir et intérêt


     « Il est en effet fort inutile de parler de devoirs ; le mot même a quelque chose de désagréable et de répulsif. Qu'on en parle tant qu'on voudra, jamais ce mot ne deviendra règle de conduite.

Un homme, un moraliste, s'étale gravement dans son fauteuil, et là, vous le voyez dogmatiser en phrases pompeuses sur le devoir et les devoirs. Pourquoi personne ne l'écoute-t-il ? parce que, tandis qu'il parle de devoirs, chacun pense aux intérêts. Il est dans la nature de l'homme de penser avant tout à ses intérêts, et c'est par là que tout moraliste éclairé jugera qu'il est de son intérêt de commencer ; il aurait beau dire et beau faire, à l'intérêt le devoir cédera toujours le pas.

L'objet que nous nous proposons dans cet ouvrage, c'est de faire ressortir les rapports qui unissent l’intérêt au devoir dans toutes les choses de la vie. Plus on examinera attentivement ce sujet, plus l'homogénéité de l'intérêt et du devoir paraîtra évidente. Toute loi qui aura pour objet le bonheur des gouvernés, devra tendre à ce qu'ils trouvent leur intérêt à faire ce dont elle leur impose le devoir. En saine morale, le devoir d'un homme ne saurait jamais consister à faire ce qu'il est de son intérêt de ne pas faire. La morale lui enseignera à établir une juste estimation de ses intérêts et de ses devoirs ; et en les examinant, il apercevra leur coïncidence. On a coutume de dire qu'un homme doit faire à ses devoirs le sacrifice de ses intérêts. Il n'est pas rare d'entendre citer tel ou tel individu pour avoir fait ce sacrifice, et on ne manque jamais d'exprimer à ce sujet son admiration. Mais en considérant l'intérêt et le devoir dans leur acception la plus large, on se convaincra que dans les choses ordinaires de la vie, le sacrifice de l'intérêt au devoir n'est ni praticable, ni même beaucoup à désirer ; que ce sacrifice n'est pas possible, et que s'il pouvait s'effectuer, il ne contribuerait en rien au bonheur de l'humanité. Toutes les fois qu'il s'agit de morale, il est invariablement d'usage de parler des devoirs de l'homme exclusivement. Or, quoiqu'on ne puisse établir rigoureusement en principe, que ce qui n'est pas de l'intérêt évident d'un individu, ne constitue pas son devoir, cependant on peut affirmer positivement qu'à moins de démontrer que telle action ou telle ligne de conduite est dans l'intérêt d'un homme, ce serait peine perdue que d'essayer de lui prouver que cette action, cette ligne de conduite, sont dans son devoir. Et cependant c'est ainsi qu'ont procédé jusqu'à présent les prédicateurs de morale. « Il est de votre devoir de faire cela. Votre devoir est de vous abstenir de ceci ; » et l'on avouera que de cette manière, la tâche du moraliste n'est pas difficile. Mais pourquoi est-ce mon devoir ? Voici quelle sera à peu prés la réponse à cette question : « Parce que je vous l'ai ordonné, parce que c'est mon opinion, ma volonté. - Oui, mais si je ne me conforme pas à votre volonté - Oh! dans ce cas, vous aurez grand tort ; ce qui veut dire : Je désapprouverai votre conduite. »

Indications de lecture:

Voir l'utilitarisme.

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