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Textes philosophiquesJeremy Bentham le bonheur et l'utilitéIl est triste de penser que la somme de bonheur qu'il est au pouvoir d'un homme, même du plus puissant, de produire, est petit comparée à la somme de maux qu'il peut créer par lui-même ou par autrui ; non que, dans la race humaine, la proportion du malheur excède celle du bonheur ; car la somme du malheur étant limitée en grande partie par la volonté de celui qui souffre, il a presque toujours à sa disposition des moyens d'alléger ses maux. Mais la tendance de la bienveillance effective est de s’accroître par l'exercice. C'est un trésor ; plus nous y puisons pour en verser les richesses sur ceux qui nous entourent, plus nos richesses se multiplient. Notre opulence s'accroît en raison de la consommation que nous faisons de nos trésors. Celui qui s'assure un plaisir, ou qui s'évite une peine, contribue à son bonheur d'une manière directe ; celui qui assure un plaisir ou évite une peine à autrui, contribue indirectement à son propre bonheur. Qu'est-ce que le bonheur ? C'est la possession du plaisir avec exemption de peine. Il est proportionné à la somme des plaisirs goûtés et des peines évitées. Et qu'est-ce que la vertu ? C'est ce qui contribue le plus au bonheur, ce qui maximise les plaisirs et minimise les peines . Le vice, au contraire, c'est ce qui diminue le bonheur et contribue au malheur. La première loi de notre nature, c'est de désirer notre propre bonheur. Les voix réunies de la prudence et de la bienveillance effective se font entendre et nous disent : Travaillez au bonheur des autres ; cherchez votre propre bonheur dans le bonheur d'autrui. La prudence, dans le langage ordinaire, est l'adaptation des moyens à une fin donnée. En morale, cette fin, c'est le bonheur. Les objets sur lesquels doit s'exercer la prudence, sont nous-mêmes et autrui : nous-mêmes comme instruments, autrui comme instrument aussi de notre propre félicité. L'objet de tout être rationnel, c'est d'obtenir pour lui-même la plus grande somme de bonheur. Chaque homme est à lui-même plus intime et plus cher qu'il ne peut l'être à tout autre, et nul autre que lui ne peut lui mesurer ses peines et ses plaisirs. Il faut, de toute nécessité, qu'il soit lui-même le premier objet de sa sollicitude. Son intérêt doit, à ses yeux, passer avant tout autre ; et en y regardant de près, il n'y a dans cet état de choses rien qui fasse obstacle à la vertu et au bonheur : car comment obtiendra-t-on le bonheur de tous dans la plus grande proportion possible, si ce n'est à la condition que chacun en obtiendra pour lui-même la plus grande quantité possible ? De quoi se composera la somme du bonheur total, si ce n'est des unités individuelles ? Ce que demandent la prudence et la bienveillance, la nécessité en fait une loi. La continuation de l'existence elle-même dépend du principe de la personnalité. Si Adam s'était plus soucié du bonheur d'ève que du sien propre, et qu'en même temps ève eût subordonné son bonheur à celui d'Adam, Satan eût pu s'épargner les frais d'une tentation. De mutuelles misères eussent détruit tout avenir de bonheur, et la mort de tous deux eût mis à l'histoire de l'homme une prompte conclusion. Quelles déductions importantes tirerons-nous de ces principes ? Sont-ils immoraux dans leurs conséquences ? Loin de là ; ils sont au plus haut point philanthropiques et bienfaisants ; car, comment un homme pourra-t-il être heureux, si ce n'est en obtenant l'affection de ceux dont dépend son bonheur ? Et comment pourra-t-il obtenir leur affection, si ce n'est en les convainquant qu'il leur donne la sienne en retour ? Et cette conviction, comment la leur communiquer, si ce n'est en leur portant une affection véritable ; et si cette affection est vraie, la preuve s'en trouvera dans ses actes et dans ses paroles. Helvetius a dit que pour aimer les hommes il faut peu en attendre. Soyons donc modérés dans nos calculs, modérés dans nos exigences. La prudence veut que nous n'élevions pas trop haut la mesure de nos espérances ; car le désappointement diminuera nos jouissances et nos bonnes dispositions envers autrui, tandis que, recevant de leur part des services inattendus, qui nous donnent le charme de la surprise, nous éprouvons un plaisir plus vif, et nous sentons se fortifier les liens qui nous unissent aux autres hommes. Indications de lecture:Voir l'utilitarisme.
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