Textes philosophiquesMarcelin Berthelot la science comme éducation totale"Dans le monde moderne, la science possède dès à présent une vertu éducatrice au moins aussi élevée que tout autre mode de culture. Sans nous étendre sur une démonstration, à laquelle on pourrait consacrer des volumes, est-il nécessaire de rappeler quelle est la vertu des enseignements généraux de la science, non seulement au point de vue pratique, que nul ne conteste sans doute, mais au point de vue intellectuel et moral ? Le caractère efficace des doctrines scientifiques donne à l’homme la confiance en lui-même et trempe sa volonté. La science, en effet, apprend à ses adeptes que le bonheur et le bien-être ne s’acquièrent pas par de vaines paroles, ni par une vie contemplative et par des pratiques mystiques, aussi stériles pour l’individu que pour la société. On y par vient surtout par la connaissance exacte des faits, par la conformité de nos actes avec les lois constatées des choses, par l’exercice de la puissance humaine sur la nature, qui en est la conséquence. En même temps, la science nous révèle le monde, elle nous enseigne le respect absolu de la vérité ; car il est puéril et insensé de vouloir tricher avec les lois naturelles, ou en forcer l’exercice. Par là, nous apercevons les limites assignées à notre intervention, et, par conséquent, la nécessité de nous soumettre à ces lois avec modestie, et nous demeurons convaincus de l’obligation de purifier notre cœur et notre intelligence de toute erreur, de toute chimère, issue du fatalisme ou de la superstition. Le sentiment du beau, c’est-à-dire l’amour de l’art, naît en même temps de la vue du développement harmonique des êtres vivants ou inanimés, tel qu’il résulte de l’application des lois mécaniques et physiques qui président aux phénomènes du monde extérieur. C’est ce développement que l’artiste représente en l’idéalisant, c’est-à-dire en en exprimant la conformité avec les lois internes de la nature humaine. En même temps que l’éducation scientifique nous élève en quelque sorte au-dessus de notre propre personnalité par les conceptions et les puissances qui résultent de la connaissance des lois naturelles, elle nous apprend que cette connaissance ne saurait être acquise et perpétuellement mise en œuvre que par le concours indéfiniment prolongé des efforts individuels de tous les hommes civilisés, dans le temps et dans l’espace : c’est-à-dire qu’elle fait pénétrer jusqu’au fond de notre cœur et de notre esprit la notion vivifiante d’une solidarité plus haute que les concepts des religions d’autrefois L’enseignement classique et l’enseignement moderne, Le Temps, 10 décembre 1898. Indications de lecture:Cf. leçon Science et scientisme. Il y a chez Berthelot l’idée positiviste forte selon laquelle seule la science possède une valeur. À la fin du XIXe siècle, la réaction anti-positiviste est forte, le positivisme, sous ses formes populaires, s'étant diffusé dans l'opinion commune.
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