Textes philosophiques
Alexander Grothendieck le
savoir scientifique n'est pas fait pour nous rendre heureux
..D’autre part, il n’en reste pas moins que
lorsque la science nous permet d’avoir un salaire et de subvenir à nos
besoins, les liens entre notre travail et la satisfaction de nos besoins sont
pratiquement tranchés, ce sont des liens extrêmement abstraits. Le lien est
pratiquement formé par le salaire, mais nos besoins ne sont pas directement
reliés à l’activité que nous exerçons. En fait, c’est cela la chose
remarquable, quand on pose la question : « À quoi sert socialement la science
? », pratiquement personne n’est capable de répondre. Les activités
scientifiques que nous faisons ne servent à remplir directement aucun de nos
besoins, aucun des besoins de nos proches, de gens que nous puissions
connaître. Il y a aliénation parfaite entre nous-mêmes et notre travail.
Ce n’est pas un phénomène qui soit propre à
l’activité scientifique, je pense que c’est une situation propre à presque
toutes les activités professionnelles à l’intérieur de la civilisation
industrielle. C’est un des très grands vices de cette civilisation
industrielle.
En ce qui concerne les mathématiques plus
particulièrement, depuis quelques mois, j’essaie vraiment de découvrir une
façon dont la recherche mathématique, celle qui s’est faite depuis quelques
siècles – je ne parle pas nécessairement de la recherche mathématique la plus
récente, celle dans laquelle j’étais encore impliqué moi-même à une date assez
récente –, pourrait servir du point de vue de la satisfaction de nos besoins.
J’en ai parlé avec toutes sortes de mathématiciens depuis trois mois. Personne
n’a été capable de me donner une réponse. Dans des auditoires comme celui-ci
ou des groupes de collègues plus petits, personne ne sait.
Je ne dirais pas qu’aucune de ces
connaissances ne soit capable, d’une façon ou d’une autre, de s’appliquer pour
nous rendre heureux, pour nous permettre un meilleur épanouissement, pour
satisfaire certains désirs véritables, mais jusqu’à maintenant je ne l’ai pas
trouvée. Si je l’avais trouvée, j’aurais été beaucoup plus heureux, beaucoup
plus content à certains égards, du moins jusqu’à une date récente. Après tout,
je suis mathématicien moi-même et cela m’aurait fait plaisir de savoir que mes
connaissances mathématiques pouvaient servir à quelque chose de socialement
positif. Or, depuis deux ans que j’essaie de comprendre un petit peu le cours
que la société est en train de prendre, les possibilités que nous avons pour
agir favorablement sur ce cours, en particulier les possibilités que nous
avons pour permettre la survie de l’espèce humaine et pour permettre une
évolution de la vie qui soit digne d’être vécue, que la survie en vaille la
peine, mes connaissances de scientifique ne m’ont pas servi une seule fois.
Ce
texte a été reproduit avec l’aimable autorisation des enfants d’Alexandre
Grothendieck dans la revue Écologie et Politique, n°52, 2016.
Indications de
lecture :
Voir le travail de Pierre Thuillier sur le même sujet. Idem,
voir Jacques Ellul.
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