Textes philosophiques

Alexander Grothendieck       Question de survivalisme et de collapsologie


          Au début, nous avions démarré sous la hantise d’une possible fin du monde où l’impératif essentiel, pour nous, était l’impératif de la survie. Depuis lors, par un cheminement parallèle chez beaucoup d’entre nous et d’autres ailleurs hors du groupe, nous sommes parvenus à une autre conclusion. Au début, nous étions si l’on peut dire overwhelmed, écrasés, par la multiplicité des problèmes extrêmement enchevêtrés, de telle façon qu’il semblait impossible de toucher à aucun d’eux sans, en même temps, amener tous les autres. Finalement, on se serait laissés aller à une sorte de désespoir, de pessimisme noir, si on n’avait pas fait le changement d’optique suivant : à l’intérieur du système de référence habituel où nous vivons, à l’intérieur du type de civilisation donné, appelons-la civilisation occidentale ou civilisation industrielle, il n’y a pas de solution possible ; l’imbrication des problèmes économiques, politiques, idéologiques et scientifiques, si vous voulez, est telle qu’il n’y a pas d’issues possibles.
   « Le problème de la survie a été dépassé, il est devenu le problème de la vie, de la transformation de notre vie dans l’immédiat ; de telle façon qu’il s’agisse de modes de vie et de relations humaines qui soient viables à longue échéance et puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles. »
Au début, nous pensions qu’avec des connaissances scientifiques, en les mettant à la disposition de suffisamment de monde, on arriverait à mieux appréhender une solution des problèmes qui se posent. Nous sommes revenus de cette illusion. Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques (13), mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation. C’est en cela que consiste le changement d’optique extrêmement important.
     Pour nous, la civilisation dominante, la civilisation industrielle, est condamnée à disparaître en un temps relativement court, dans peut-être dix, vingt ou trente ans… une ou deux générations, dans cet ordre de grandeur ; parce que les problèmes que pose actuellement cette civilisation sont des problèmes effectivement insolubles. Nous voyons maintenant notre rôle dans la direction suivante : être nous-mêmes partie intégrante d’un processus de transformations, de ferments de transformations d’un type de civilisation à un autre, que nous pouvons commencer à développer dès maintenant. Dans ce sens, le problème de la survie pour nous a été, si l’on peut dire, dépassé, il est devenu celui du problème de la vie, de la transformation de notre vie dans l’immédiat ; de telle façon qu’il s’agisse de modes de vie et de relations humaines qui soient dignes d’être vécus et qui, d’autre part, soient viables à longue échéance et puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles, de cultures nouvelles.

Ce texte a été reproduit avec l’aimable autorisation des enfants d’Alexandre Grothendieck dans la revue Écologie et Politique, n°52, 2016.

Indications de lecture :

Voir le travail de Pierre Thuillier sur le même sujet. Idem, voir Jacques Ellul.

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