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Textes philosophiquesJacques Lusseyran une rencontre à Buchenwald"Là où je suis, il n’y a plus que la vie, c’est-à-dire un grand vide, un trou, un appel. Il n’y a plus rien qui m’empêche de faire monter de moi ces richesses que je contiens, comme tous les hommes, sans le savoir. Que dis-je ? Tout m’invite à le faire"... "Jérémie donnait l’exemple : il trouvait de la joie en plein bloc 57. [.../...] Et il en trouvait en si grande abondance que nous la sentions, lui présent, monter en nous. » 1 « Jérémie n’était pas heureux : il était joyeux. Le bien dont il jouissait n’était pas à lui. Ou plutôt si, mais par participation. Il était aussi bien à nous". "Pour qui sait voir, c’est comme d’habitude » disait-il. D’abord je ne comprenais pas. J’éprouvais même un sentiment tout proche de l’indignation. Quoi ! Buchenwald semblable à la vie ! Impossible [.../...] Jérémie s’en expliquait parfois. Il avait toujours vu les hommes dans la peur et dans la plus invincible de toutes : celle qui n’a pas d’objet. Il les avait vus désirer secrètement et par-dessus tout une chose : se faire du mal à eux-mêmes. Simplement, les conditions étaient enfin toutes remplies. [.../...] une maladie et misère parfaite : un camp de concentration". "Tout cela, direz-vous, venait de Jérémie parce qu’il était lucide. Je n’ai pas dit qu’il était lucide : cette qualité appartient à l’intelligence et, dans le monde de l’intelligence, Jérémie n’était pas chez lui. J’ai dit qu’il voyait. J’ai parlé de lui comme d’une prière vivante". Le monde commence aujourd’hui. Paris, Silène, 2012, p.8, 41, 26, 30, 37. Indications de lectureJacques Lusseyran, aveugle à l’âge de huit ans suite à un accident, s’engage dans la résistance pendant la deuxième guerre mondiale. Il est déporté peu avant ses vingt ans dans le camp de Buchenwald, il y survivra dans des conditions extrêmes. Plus tard il deviendra enseignant en lettres, non sans s’être heurté à son exclusion de l’enseignement public en France en raison de sa cécité. Note de Shanti Rouvier.
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