Texte philosophique :

Margaret Mead        les féroce Mundugumor


«La société n’est pas organisée en clans, comme chez les Arapesh, chez qui un groupe d’individus apparentés les uns aux autres forme une unité permanente, que cimentent un sang commun, un nom commun, des intérêts communs. L’organisation sociale des Mundugumor est au contraire fondée sur la conception qu’il existe une hostilité naturelle entre tous les individus d’un même sexe et que seuls ceux du sexe opposé constituent un lien entre eux. Au lieu, donc, d’être organisés en groupe patrilinéaires ou matrilinéaires — Les Mundugumor pratiquent un système qu’ils appellent une « corde ». Une corde comprend un homme, ses filles, les fils de ses filles, les filles de ses fils de ses filles, etc… »

« L’idéal social est la grande famille polygame, qui peut compter jusqu’à six ou sept épouses pour un homme. »

« Entre frères germains, l’attitude est toute de rivalité et de méfiance. Dès l’adolescence, ils doivent obligatoirement s’éviter au maximum, adopter l’un envers l’autre un comportement formaliste à l’extrême, s’abstenir entre eux de toute conversation légère ou même banale. Il n’est pour eux qu’une seule forme de contacts étroits : ils ont le droit de se battre et de s’injurier en public. »

« Père et fils sont d’autre part, séparés par une hostilité précoce, que la société s’entend à entretenir. Lorsqu’un garçon a dix ou douze ans, sa mère est déjà vieille et n’est plus en tout cas, l’épouse favorite. Son père cherche une autre femme, plus jeune. Si l’épouse délaissée proteste, elle est battue. Le petit garçon est censé défendre sa mère, défier et injurier son père.

Telle est l’atmosphère qui règne dans la famille de l’homme qui a réussi, de celui qui a pu réunir un grand nombre d’épouses. Car c’est là un signe de richesse et de puissance. »

« Chaque homme est censé obtenir une épouse en donnant sa sœur en échange de la sœur d’un autre. Théoriquement il n’existe pas d’autre moyen de se procurer légalement une épouse[…] Les conflits entre frères sont donc inévitables, quel que soit le nombre de leur sœurs. Moins celles-ci sont nombreuses plus les conflits son violents. Cette rivalité se complique du fait que les hommes déjà âgés ont le droit d’épouser de jeunes femmes. En théorie il n’est pas possible de se marier en dehors de sa génération. Mais les Mundugumor ne respectent aucune de leurs propres règles ».

Fêtes et chasses aux têtes : rares moments fédérateurs

"Nous avons déjà parlé des fêtes d’initiation données par les hommes « importants ». Il y a aussi les échanges de nourriture entre notables, et les fêtes de victoire qui couronnent la réussite d’une chasse aux têtes. Dans toutes ces entreprises, les responsables sont connus de la communauté comme « des hommes vraiment mauvais »- agressifs, avides de pouvoir et de prestige, hommes qui ont pris bien plus que leur part des femmes de la communauté et qui ont aussi acquis, par vol ou achat, des femmes des tribus voisines, individus arrogants qui ne craignent personne et sont assez sûr de leur puissance pour trahir qui bon leur semble en toute impunité. Lorsqu’ils mourront la communauté entière les pleurera ; c’est leur arrogance, leur soif de puissance, qui donne un rythme à la vie sociale. […] C’est dans cette atmosphère de fidélités incertaines, de conspirations, de trahisons que, de temps à autre, on met sur pied une chasse aux têtes : alors, pendant une courte période, toute la communauté mâle s’unit pour l’expédition et les festins de victoire par lesquels elle s’achèvera, festins ou s’affirme un cannibalisme tapageur, ou chaque convive fait éclater sa joie de pouvoir enfoncer ses dents dans la chair de l’ennemi abhorré. »

Une écologie de la chasse à l'homme

"A l'égard des habitants des marais, les Mundugumor entretiennent un mépris que nuance seulement le sentiment de leur utilité ; ce sont eux qui fournissent pots, marmites et paniers. Et les Mundugumor le reconnaissent eux-mêmes : il faut veiller à ne pas tous les tuer, sans quoi il n'y aurait plus de potiers. […] Il concluent parfois une alliance avec les habitants des marais dans le but de réunir suffisamment de participants pour une grande chasse aux têtes. Une telle entreprise, en effet, ne doit pas présenter de risques. L'idéal est de pouvoir aligner une centaine de chasseurs pour capturer un hameau qu'habitent seulement deux ou trois hommes et quelques femmes. Pour assurer le succès d'expéditions de cette sorte, il est nécessaire d'avoir des alliés. Aussi échange-t-on avec les tribus voisines des enfants qui sont gardés comme otages jusqu'à que l'affaire ait réussi.[…] Pourquoi les otages sont-ils toujours des enfants ? La réponse est simple : si les engagements ne sont pas tenus, et que les otages soient massacrés, il ne s'agira après tout que d'enfants. Dans la plupart des cas c'est un enfant mâle- dont la valeur est moindre que celle d'une fillette- qui est ainsi sacrifié.

Une formation à la dure de l’individu

"L’enfant mâle mundugumor entre en naissant dans un monde hostile, un monde ou la plupart de ses semblables seront des ennemis, ou, pour faire son chemin, il lui faudra être violent, percevoir et venger l’insulte, faire peu de cas de sa personne et encore moins de la vie des autres. Du moment qu’il nait, tout l’incite à un tel comportement. Quand une femme mundugumor dit à son mari qu’elle attend un enfant, il n’en éprouve aucune joie. Il est désormais un homme marqué ".

Une initiation sanglante des adolescents

« Quelque temps avant d’attendre l’adolescence, le jeune garçon mundugumor devra mettre à mort un prisonnier destiné à un festin de chair humaine. »

« Cette formation spartiate donne aux enfants mundugumor, avant même l’adolescence, un air de dureté et de maturité précoces. […] L’initiation est pour les filles comme une sorte de privilège qui leur est accordé dans la mesure où elles sont de tempérament suffisamment agressif pour l’exiger. Pour les garçons, c’est une pénalité à laquelle ils ne peuvent échapper. Tandis que les filles se contentent de défiler devant les objets sacrés, les adolescents sont rassemblés avec force coups et jurons et scarifiés avec des mâchoires de crocodiles : nul doute que les initiateurs ne prennent un plaisir sadique à l’opération. »

Une sexualité sauvage

« Les amours des jeunes gens non encore mariés sont soudaines et violentes. Il y entre plus de passion que de tendresse et de romanesque. »

« Avant de se marier, une fille peut avoir un certain nombre d’aventures, chacune caractérisée par la même fougue, la même violence. Mais de tels écarts sont dangereux, s’ils sont découverts, la communauté toute entière saura qu’elle n’est plus vierge et les Mundugumor font grand cas de la virginité de leur filles et de leurs fiancées.. Seule une vierge peut-être échangée contre une autre vierge. »

« Parfois, au lieu que les amants se rencontrent dans la brousse ; le garçon se glisse, la nuit, dans le lit panier de la fille[…]Le père qui prend le couple sur le fait ferme solidement sur les délinquants le couvercle du panier et le fait tomber le long de l’échelle d’accès, qui est presque verticale et à deux mètres de haut. Dans sa rage il donnera de grands coups de pieds dans le panier ou même y enfoncera une sagaie ou une flèche avant de l’ouvrir. Aussi les amants n’ont pas de prédilection particulière pour ce procédé. »

"L'homme marié qui porte un intérêt actif à son épouse l'accompagne dans la brousse, dans le but avoué de l'aider à son travail, mais en fait pour copuler avec elle dans des conditions qui permettent le déchainement de leur brutalité amoureuse. Mais on trouve bien plus de plaisir encore à ces ébats si on leur donne pour cadre le jardin des autres, ce qui portera tord à la récolte d'igname. Ces expéditions de couples mariés dans la brousse sont une forme d'exhibitionnisme autorisé."

« On est très sensible à la violation du tabou sur les mariages entre générations ; une mère et une fille qui se trouve être l’épouse d’un même homme refusent souvent de se parler et peuvent en venir à s’injurier en public de telle façon que celle qui a le plus d’amour-propre se suicidera. »

Mais pour les Mundugumor, trop de violence tue la violence

« Il se trouve des tempéraments aberrants d’une espèce différente. Ce sont ceux d’une violence telle qu’ils sont déplacés même chez les Mundugumor. Un individu de cette sorte passe sont temps à se brouiller avec ses congénères ; il sera finalement tué par traîtrise au cours de l’attaque d’une autre tribu, à moins qu’un membre de sa propre tribu ne se charge de le faire (la peine pour ce dernier ne sera pas lourde : on lui interdira de porter les marques distinctives des chasseurs de têtes). Ou encore l’homme s’enfuira dans le marais et y périra. Une femme de tempérament similaire, insatiable dans ses exigences, toujours à l’affût de quelque nouvel amant, finira par être livrée à une autre communauté pour y être violée par tous. Mais un tel destin est conforme à l’idéal Mundugumor, selon lequel une mort violente est souhaitable aussi bien pour un homme que pour une femme. »

     Mœurs et sexualité en Océanie, Plon, Collection Terre humaine, 1963 (1ère édition américaine 1935).

Indications de lecture:

 

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