Document :
Ilya Prigogine la
science en dialogue avec la Nature
La science est un dialogue
avec la nature. Mais comment un tel dialogue est-il possible ? Un monde
symétrique par rapport au temps serait un monde inconnaissable. Toute
prise de mesure, préalable à la création de connaissance, présuppose la
possibilité d’être affectés par le monde, que ce soit nous qui soyons
affectés ou nos instruments. Mais la connaissance ne présuppose pas
seulement un lien entre celui qui connait et ce qui est connu, elle
exige que ce lien crée une différence entre passé et futur. La réalité
du devenir est la condition sine qua non à notre dialogue avec la
nature. (...)
Comprendre la nature a été l’un des
grands projets de la pensée occidentale. Il ne doit pas être identifié
avec celui de contrôler la nature. Aveugle serait le maître qui
croirait comprendre ses esclaves sous prétexte que ceux-ci obéissent à
ses ordres. Bien sûr, lorsque nous nous adressons à la nature, nous
savons qu’il ne s’agit pas de la comprendre à la manière dont nous
comprenons un animal ou un homme. Mais là aussi la conviction de
Nabokov s’applique : "ce qui peut être contrôlé n’est jamais tout à
fait réel, ce qui est réel ne peut jamais être rigoureusement
contrôlé." (...)
Le déterminisme a des racines anciennes
dans la pensée humaine, et il a été associé aussi bien à la sagesse, à
la sérénité qu’au doute et au désespoir. La négation du temps, l’accès
à une vision qui échapperait à la douleur du changement, est un
enseignement mystique. Mais la réversibilité du changement n’avait,
elle, été pensée par personne : "Aucune spéculation, aucun savoir n’a
jamais affirmé l’équivalence entre ce qui se fait et ce qui se défait,
entre une plante qui pousse, fleurit et meurt, et une plante qui
ressuscite, rajeunit et retourne vers sa graine primitive, entre un
homme qui mûrit et apprend, et un homme qui devient progressivement
enfant, puis embryon, puis cellule." (...)
A quelque niveau que ce soit, la
physique et les autres sciences confirment notre expérience de la
réalité : nous vivons dans un univers en évolution. [...] La dernière
forteresse qui résistait à cette affirmation vient de céder. Nous
sommes maintenant en mesure de déchirer le message de l’évolution tel
qu’il prend racine dans les lois fondamentales de la physique. Nous
sommes désormais en mesure de déchiffrer sa signification en termes
d’instabilité associée au chaos déterministe et à la non-intégrabilité.
Le résultat de notre recherche est en effet l’identification de
systèmes qui imposent une rupture de l’équivalence entre la description
individuelle (trajectoires, fonctions d’onde) et la description
statistique d’ensembles. Et c’est au niveau statistique que
l’instabilité peut être incorporée dans les lois fondamentales. Les
lois de la nature acquièrent alors une signification nouvelle : elle ne
traitent plus de certitudes mais de possibilités. Elles affirment le
devenir et non plus seulement l’être. Elles décrivent un monde de
mouvements irréguliers, chaotiques, un monde plus proche de celui
qu’imaginaient les atomiques anciens que des orbites newtoniennes."
La
nouvelle alliance.
Indications de lecture:
Voir la leçon sur le fleuve du temps,
partie A et B.
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