|
Textes philosophiquesEric Emmanuel Schmitt Les mots sont limitésCette énergie inébranlable, indomptable, à l’œuvre dans l’univers, je m’absorbe en elle. J’en reçois des messages… Comment ? Qu’ils sont difficiles ! Non à saisir car ils s’imposent, mais à transcrire dans le langage. Les mots, ces pauvres mots, n’offrent pas la porte d’accès à ce que je vis. Ils ont été inventés pour décrire les objets, les pierres, les sentiments, des réalités humaines ou voisines des humains. Comment désigneraient-ils ce qui les dépasse ou ce qui les fonde ? Comment des termes finis désigneraient-ils l’infini ? Comment les étiquettes du visible estampilleraient-elles l’invisible ? Ils inventorient le monde, ces mots qui ont la truffe au sol, or je pénètre dans l’au-delà du monde… »1 « Je sens tout. D’un coup j’appréhende la totalité. Les termes fuient. Peu importe ! Une voix de mon esprit me souffle que je formulerai plus tard. Pour l’heure, il faut s’abandonner. Et recevoir". ... Qui ? Qui est mon ravisseur ? Qui m’a arraché aux ravins et m’a régalé de joie ? Les mots se proposent en masse et j’arrête leur armée. Décrire une force qui ne tient pas dans un corps, une présence qui se passe de forme, est-ce possible ? Je peine à me figurer Celui dans lequel je me suis fondu puisqu’on ne peut ni Le voir, ni L’entendre, ni Le toucher, ni L’étreindre. J’abandonne l’idée de qualifier ce qui n’est ni vivant ni mort. [.../...] Qui est mon ravisseur ? J’y songe avec tendresse… Ravi… Je suis ravi… Il m’a ravi… Pour aller vite, je devrais probablement le baptiser Dieu. Ou Feu… Dieu ? Pourquoi pas… Oui, disons Dieu ! Si ce n’est pas son nom, ça reste le moins saugrenu pour L’appeler. Le vocable a tant servi qu’il ressemble à une vieille pièce de monnaie dont l’usure a effacé les caractéristiques mais conservé l’aura. Dieu, je L’ai atteint par le cœur. Ou Il a atteint mon cœur. Là, en moi, s’est creusé un corridor entre deux mondes, le nôtre et le Sien. La nuit de feu. Paris, Albin Michel, p.134, 138-139. Indications de lecture:Dans La nuit de feu récit d’une expérience, Éric-Emmanuel Schmitt raconte comment il s’est perdu dans le désert.
|