Textes philosophiques
Jean Sulivan l'ordre social et politique ne
s'intéresse pas au bonheur
L’ordre social et politique ne
s’intéresse pas au bonheur des individus. Il leur propose un bonheur
conventionnel et factice. Il utilise le malheur intime (la scission) pour
ses projets économiques. La quête du bonheur devient un aiguillon.
Finalement, l’absence de soi, l’insatisfaction en profondeur deviennent
motrices de créations sociales dans la concurrence effrénée.
Le plus souvent, dans nos sociétés, l’être normal
est […] suractif, efficace, le gagneur, à l’aise dans le monde de la
production et de la consommation. Or il arrive que cet homme soit absent à
lui-même et aux siens : il apaise ses tensions par le travail, l’argent,
d’incessants projets […] L’homme normal, au sens que nous donnons à ce mot,
est l’homme naturel. Non pas nécessairement étranger aux affaires ni à
l’action, mais en communication avec autrui parce qu’il est en communication
profonde avec lui-même. Celui dont la croissance est intérieure parce qu’il
n’est pas seulement une résultante de pressions. Le signe le plus évident
est qu’il est capable de solitude […] Il n’utilise pas les autres pour se
rassurer lui-même. C’est dire qu’il met à la première place l’amitié et
l’amour. Pour lui, la réussite est là d‘abord.
Pendant des siècles […] on apprenait à se soumettre.
Mais rien ou presque rien ne germait du dedans, dans une expérience
réelle. D’où l’indifférence et le rejet. […] le christianisme a cru
qu’évangéliser c’était conduire à des croyances ; faire entrer (des
individus) dans un système (évangéliser) c’est d’abord apaiser le corps
(« va en paix »), c’est-à-dire dénouer, défaire la tension.
Parole du Passant, 1980.
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