Textes philosophiques

Eckhart Tolle      la crise du corona virus (1)


     

     J’aimerais vous faire partager un petit passage de la Bible. Il est rare que je reprenne des extraits de la Bible pour l’enseignement. Celui-ci est dans le Nouveau-Testament. C’est une parabole dite par Jésus, très profonde et tout à fait appropriée au temps actuel. Allons-y !
     « Quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison: elle n’est point tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc. Mais quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison: elle est tombée, et sa ruine a été grande. »
Voyons un peu la signification profonde de ces mots ! « Quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique » veut précisément dire « quiconque entend l’enseignement et le met en pratique ». L’enseignement de Jésus est évidemment : « Trouvez le Royaume des Cieux qui demeure en vous et nulle part ailleurs, ni dans le temps, ni dans l’espace. Trouvez la dimension transcendante, le Royaume des Cieux qui se trouve en vous, à savoir une dimension plus profonde ou plus élevée de la conscience. » Tout le monde peut y avoir accès.
 
     Et celui qui bâtit sa maison, c’est vous. La maison, c’est vous.
« La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison » : Cela représente bien sûr l’adversité à laquelle on est inévitablement confronté dans la vie, une forme d’adversité plus ou moins extrême, aussi bien au niveau personnel qu’au niveau collectif, comme nous le vivons en ce moment.
     Or, si vous n’êtes pas allé très profond – rappelez-vous que vous êtes la maison – si vous n’êtes pas allé assez profond, si vous n’avez rien trouvé au-delà du penser conceptuel, vous allez être dévasté par la pluie, les vents, les torrents, autrement dit toute forme d’adversité. Dans le cas présent, nous savons ce qu’est cette adversité. Et même si vous ne tombez pas malade, si vous n’attrapez pas le virus, vous allez être consumé par la peur, comme actuellement des millions d’humains.
     Et pourquoi avez-vous peur ? Qu’est-ce que la peur ? Les peurs sont comme des formes-pensées. Vous vous projetez dans un moment à venir et vous n’êtes pas présent. Si vous étiez présent, vous vous rendriez compte qu’à ce moment-ci, rien n’est à craindre. C’est seulement quand vous quittez le moment présent que la peur survient en tant que forme-pensée qui crée une émotion.
     Alors, que veut dire aller profond et bâtir ses fondations dans la roche ? Quelle est cette roche ? Quelles sont ces fondations pour la maison que vous êtes ? Vous êtes cette maison.
     Et j’aimerais vous proposer une petite méditation maintenant, comme illustration, et pour vous permettre en tout premier lieu de faire l’expérience de ce que signifie allez très profond.Pendant quelques instants, soyez conscient que vous respirez, soyez conscient de vous-même, non pas du vous, du soi conceptuel. Ne conscientisez pas votre histoire personnelle, ni quelque futur imaginaire, mais devenez conscient de vous-même en tant que la présence consciente, le champ de la présence consciente.
     Ici, le penser ne vous aide pas. Le penser est un obstacle. Vous allez donc plus profond que le penser et vous pouvez être complètement éveillé et présent avec une activité mentale très réduite. C’est là le début de la réalisation de votre identité plus profonde que j’appelle parfois votre identité essentielle. Et votre identité essentielle est inséparable du moment présent. C’est le présent éternel, intemporel. C’est une dimension plus profonde de la conscience que celle à laquelle vous êtes ordinairement identifié. Et c’est ce que veut dire allez très profond et trouver cette fondation inébranlable. Elle est profondément en vous comme en tout un chacun.
     L’adversité est une occasion merveilleuse, parce qu’elle vous oblige à aller plus profond. L’adversité vous oblige à vous éveiller à cette dimension plus profonde de qui vous êtes. Pourquoi est-ce que l’adversité vous oblige de cette façon ? Parce que la vie devient quasiment insupportable quand vous ne vivez qu’à la surface, à la surface des perceptions sensorielles et du mental conceptuel. Vous écoutez les informations, vous lisez toutes sortes de choses ; tout le monde est dans la peur. C’est la maison bâtie sur du sable et quand arrivent les pluies, les vents, les torrents, la maison s’effondre. Dans cette parabole, vous êtes la maison et vous êtes dévasté, dans une anxiété extrême, dans une souffrance extrême.
     Il est aussi possible qu’il ne vous soit encore rien arrivé, si vous n’êtes pas tombé malade. Nous parlerons de la maladie la prochaine fois. Mais vivez-vous à la surface ? Votre maison, la maison que vous êtes, est-elle bâtie sur du sable ? Pouvez-vous allez plus profond et trouver en vous les fondations qui vous libèrent de la peur ?
     Maintenant, quand tout va bien, il est peu probable que la plupart des gens se soucient d’aller plus profond. « Pourquoi faire ? Tout va bien, mes prochaines vacances sont organisées, le week-end arrive. Un bon repas m’attend. Tout est bien. » C’est la zone de confort. Vous êtes dans votre zone de confort. Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui se serait éveillé à partir de sa zone de confort.
 
     Il n’y a pas de mal à être dans sa zone de confort. Appréciez-le quand vous y êtes. Ça dure un certain temps et l’adversité réapparaît, sous une forme ou sous une autre, soit sur un plan personnel, soit sur un plan collectif. Ce sont des formes mineures d’adversité et occasionnellement, des formes extrêmes d’adversité, des calamités éventuelles. Vous pouvez être confronté à la mort, à une grande perte, à une maladie grave. Ce peut être au niveau collectif, la guerre civile, des grèves, un effondrement économique, l’invasion du pays, tant de choses peuvent arriver.
     Et en ce moment, nous connaissons la soi-disant pandémie. C’est l’adversité collective. Elle n’affecte pas une personne en particulier, mais elle affecte des millions de gens en même temps. C’est donc une invitation à aller plus profond, parce que si vous ne le faites pas, vous souffrez, inutilement ! Des millions sont dans un état de peur et d’anxiété.
      Alors, profitez de cette occasion, soit pour vous éveiller hors de l’état de conscience identifié au mental qui se projette continuellement dans le futur et que vous ne pouvez pas contrôler… Il n’est jamais présent. Cet état de conscience identifié au mental, c’est la maison bâtie sur du sable… soit c’est une occasion pour en arriver à la réalisation que vous êtes beaucoup plus profond que vous ne l’aviez su jusque-là. Vous êtes obligé d’aller plus profond, parce que vous ne pouvez plus supporter la souffrance, le malheur, l’anxiété ou quoi que ce soit.
     Donc, la chose la plus importante, en toute circonstance, c’est l’état de conscience à partir duquel vous vivez la situation. Vous devriez faire plus attention à cela qu’aux informations, qu’à ce que vous écoutez et regardez. Quel est votre état de conscience ? C’est là quelque chose sur quoi vous pouvez agir. Il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire quant aux circonstances extérieures. Vous pouvez prendre vos précautions ; vous pouvez aider d’autres gens dans la mesure du possible. Tout ça est très bien ! Faites tout ce que vous avez à faire.
     Il y a maintenant des gens confinés chez eux, qui sont obligés de rester à la maison. Voici que vous devez être en retraite privée à la maison. Eh bien, c’est aussi une occasion. Profitez donc de ce temps précieux qui est ici, parce qu’il participe de l’éveil de la conscience de l’humanité. Ça semble paradoxal : quelque chose à la surface a l’air très négatif, a l’air d’un obstacle au bien-être de l’humanité. Oui, c’est un obstacle au bien-être de l’humanité sur le plan purement physique, de façon temporaire, oui. Or, quelque chose qui a l’air d’un obstacle, du point de vue conventionnel, représente en réalité pour vous une occasion de vous éveiller à un niveau plus profond ou, si vous voulez, plus élevé de conscience.
      Les humains ne s’éveillent pas quand ils sont dans leur zone de confort. Ils s’éveillent quand ils sont arrachés à leur zone de confort. Tout le monde ne le fait pas. C’est juste une occasion. Si vous ne vous éveillez pas quand vous n’êtes plus dans votre zone de confort, vous souffrez, vous êtes malheureux, vous êtes anxieux, vous êtes plein de peur. Vous n’avez pas trouvé la roche de la fondation.
     Maintenant, la différence entre cette parabole et la vie actuelle, c’est l’homme de la parabole qui est déjà allé très profond, qui a bâti sa maison sur la roche. Les intempéries se produisent, mais la maison est inébranlable. Dans la vie courante, il arrive souvent que les pluies, les vents et les torrents s’abattent sur la maison. C’est donc l’adversité qui se produit dans votre vie et si vous n’êtes pas encore allé plus profond, l’adversité vous oblige à le faire. Il n’est donc pas trop tard de vous mettre à « creuser » maintenant, face à l’adversité ! Beaucoup d’entre vous sont déjà dans le processus de l’éveil, probablement la plupart d’entre vous qui écoutez ces mots. Ainsi, ce qui nous arrive maintenant est une occasion magnifique d’aller plus profond. C’est un approfondissement, une accélération de l’éveil.
     Donc, autant que possible, en particulier si vous vous voyez glisser dans la peur, dans des états émotionnels, rappelez-vous le moment présent et qu’ici et maintenant, il n’y a rien à craindre. Il vous faut vérifier pour vous-même si c’est vrai ou non. Quand vous craignez quelque chose, vous imaginez un moment futur : est-ce que je vais attraper cette maladie ? Est-ce que je vais mourir ? Un proche va-t-il l’attraper, va-t-il mourir ? Mes enfants, mes parents vont-ils mourir ? Vous imaginez que cela pourrait arriver.
 
     Or, juste maintenant, ce n’est pas ce qui arrive. Donc, quand vous vous sentez repris par la peur, rendez-vous compte que vous avez perdu le moment présent. Et vous vous êtes perdu dans votre mental, dans votre penser. Et des émotions reflètent cette activité mentale. Et quand vous notez cela, quand vous notez que vous avez perdu le moment présent, que vous vous êtes perdu, revenez au moment présent.Des petites choses peuvent vous aider : soyez conscient de votre respiration, soyez conscient de votre corps subtil, du champ d’énergie de votre corps. Le corps est vivant. Sentez l’énergie qui parcourt votre corps. Sentez la respiration, l’état de vie de votre corps. Soyez conscient des perceptions sensorielles. Vous regardez autour de vous. Vous êtes présent. Alors, soyez conscient de cette présence qui est inséparable de qui vous êtes, cette présence qui est inséparable de qui vous êtes. C’est une réalisation sublime. Vous êtes tellement plus que la personne. Cette présence est plus profonde que la personne. Et vous avez eu besoin de l’adversité, soit pour trouver cela, soit pour approfondir ce que vous aviez déjà trouvé et qui n’était pas une réalisation profonde.
       C’est le temps d’une grande occasion. Utilisez-le, ne le gaspillez pas. Il y a un dicton qui dit que quand l’ego déplore ce qu’il a perdu, l’esprit se réjouit de ce qu’il a trouvé. Ce qui a l’air mauvais à la surface a une fonction essentielle. Je vous reparlerai bientôt. En attendant, soyez ici, soyez présent ; ne vous perdez pas dans le mental ; ne vous perdez pas dans la peur. Trouvez la « roche » et soyez-y enraciné, en votre identité essentielle. Merci !

Live du 21 mars 2020

Indications de lecture:

Traduction Robert Geoffroy. Voir les autres textes sur le même sujet.

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