Textes philosophiques
Eckhart Tolle Covid 19, un autre chemin
Il y a un vers de
Shakespeare – je ne me rappelle pas dans quelle pièce – qui dit : « Rien
n’est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l’on en pense ».
Il y a là
une leçon importante. Une part essentielle de l’éveil spirituel ou de ce
que nous pourrions appeler « l’éveil de la conscience », revient à
devenir conscient de la différence entre la situation dans laquelle vous
vous trouvez et ce que le mental dit à propos de cette situation,
d’autant plus une situation qui représente un défi. En ce moment,
beaucoup d’entre vous sont peut-être confinés dans un espace réduit,
peut-être un petit appartement, empêchés de sortir, sauf pour acheter ce
qui est vital. Peut-être vous faut-il partager cet espace avec plusieurs
personnes. Peut-être n’y a-t-il personne et vous vous sentez seul. Vous
pourriez aussi éprouver un manque d’argent, parce que vous avez été
licencié. Vous n’avez plus de revenus. Et vous pouvez encore être
malade, avoir de la fièvre, tousser !
Or, toutes
ces choses que beaucoup d’entre vous endurent maintenant sont
normalement, conventionnellement, dites mauvaises. Et sur le plan
conventionnel, je suppose, en effet, qu’elles ne sont pas agréables, en
particulier si vous êtes malade. Donc, que veut dire Shakespeare quand
il déclare : « Rien n’est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que
l’on en pense » ?
En fait,
votre leçon spirituelle fondamentale, c’est la capacité à faire la
différence entre une situation que vous vivez et vos commentaires
mentaux à son sujet, les pensées que vous avez concernant ce dont vous
faites l’expérience. Pour la plupart des gens, pour quiconque n’est pas
suffisamment conscient, quoi que ces gens vivent et leurs commentaires
mentaux à ce sujet, il s’agit là d’un simple phénomène. Ils ne peuvent
pas faire la distinction.
Admettons que
vous soyez enfermé dans un petit espace, depuis une ou deux semaines.
Vous vous demandez combien de temps cela va encore durer, vous ne pouvez
plus le supporter, c’est horrible ! L’auto-dialogue continue ainsi et
vous dit combien cette situation est atroce, inacceptable.
L’auto-dialogue peut engendrer de l’apitoiement sur soi, de la colère,
de la dépression… Il va certainement engendrer de la peur, parce que
l’essentiel de l’auto-dialogue insiste, non seulement sur l’aspect
négatif de la situation actuelle, mais sur le fait qu’elle va surtout
empirer. C’est souvent ce que dit le mental. Et quand le mental dit que
cela va empirer, principalement pour vous, c’est tout de suite pire et
cela ne cesse d’empirer.
Eh bien, comme
beaucoup d’entre vous ont beaucoup de temps libre en ce moment, je vous
suggère une petite expérience. Devenez conscient de la différence entre
la situation dans laquelle vous vous trouvez et les commentaires mentaux
concernant cette situation. Donc, quand vous ne vous sentez pas heureux,
surtout quand vous souffrez là où vous êtes, vous disant par exemple que
vous ne pouvez plus le supporter ou que les choses vont empirer… Comment
est-ce que je vais pouvoir m’en sortir ? Les commentaires concernent
donc certaines choses qui se passent maintenant et peuvent concerner
d’autres choses à venir. Vous devenez donc conscient de l’auto-dialogue.
En fait, la plupart des gens se parlent beaucoup à eux-mêmes. Vous
pouvez aussi parler aux autres, si vous partagez le même espace avec
d’autres. L’auto-dialogue devient alors votre conversation avec les
autres.
Donc, comme
expérience, je vous suggérerais de vous poser la question suivante : «
Comment est-ce que je vivrais la situation si je ne lui surajoutais
aucune pensée inutile ? Comment est-ce que je vivrais ce moment, la
situation dans laquelle je me trouve, sans le rajout d’une
interprétation du mental ? » Dans la plupart des cas, ce rajout, cette
interprétation est négative. D’ordinaire, le mental ne fait pas tant de
commentaires sur une expérience très plaisante. Elle est simplement
vécue, mais le mental aime les situations éprouvantes car alors, il peut
fonctionner à plein régime. Il peut en faire toute une histoire.
« Comment
est-ce que je vivrais ce moment sans le rajout de pensées inutiles ? »
C’est une question étrange Je dis parfois que ce rajout de pensées est
un « excédent de bagages » dans votre vie. Beaucoup de gens ne se
rendent pas compte qu’ils se font eux-mêmes du mal pendant des années et
des années, parfois pendant toute leur existence, parce qu’ils n’ont
jamais appris à faire la différence entre les situations dans lesquelles
ils se trouvent et ce que le mental superpose à ces situations. Ils
vivent donc ces situations à travers une histoire mentale. Ils ne
peuvent pas se dire qu’il y a ici la situation et ici l’histoire
racontée. Et c’est donc ce dont je vous invite maintenant à faire
l’expérience, parce que beaucoup d’entre vous avez beaucoup de temps
libre.
« Comment
est-ce que je vivrais ce moment si je m’abstenais de l’interpréter, de
le juger bon ou mauvais ? » OK, cette question n’a pas de réponse au
niveau conceptuel. Cette question dirige votre attention sur le moment
présent, sur l’état de vie du moment présent. Ne rien y rajouter n’est
ici qu’une expérience à vivre. Si l’expérience échoue ou si vous ne
l’appréciez pas, vous pourrez continuer d’ajouter des histoires aux
situations. Vous pourrez continuer de vivre la situation à travers le
voile de l’histoire, des commentaires, aussi horribles qu’ils soient.
Votre vie s’effondre, le monde
s’effondre, c’est épouvantable ! Voilà l’histoire ressassée ! Donc, «
comment vivrais-je ce moment sans rajouts ? » OK, faisons-le ! Ce n’est
pas « faire », c’est s’abstenir de faire quelque chose qui est
normalement un processus mental inconscient. « OK, avec quoi suis-je ici
? Je suis ici, assis ici, regardant autour de moi, et je respire, quoi
qu’il y ait dans cette pièce. Je regarde par la fenêtre, je vois le
ciel, un arbre, la lumière qui vient de la fenêtre, les meubles dans la
pièce, quoi qu’il se passe dans l’instant, les perceptions sensorielles.
Vous êtes en train de respirer, apparemment vivant.
Peut-être ne
connaissez-vous pas le seul fait d’être vivant, mais vous pouvez le
vivre en ressentant le champ d’énergie intérieur du corps, lequel est
vivant. Tout cela fait partie de l’expérience du moment présent. Et vous
voici, assis là, et vous avez laissé tomber l’histoire ! Et tout ce avec
quoi vous êtes, c’est le pur état d’être de ce moment présent. C’est
intéressant ! Et vous pourriez soudainement sentir une sorte de poids
qui quitte vos épaules, le poids que vous portez habituellement et qui
est le poids du penser inconscient, du penser réactionnel. C’est
pourquoi je parle d’un « excédent de bagages ». Le mental crée des
histoires malheureuses. Quelle expérience faites-vous alors ? Le corps
vous reflète l’histoire malheureuse sous la forme d’une émotion
malheureuse.
Et cela, c’est
appelé « la vie normale ». Vous la voyez en regardant un film et c’est
celle de tout le monde. Peu de gens remettent cela en question. Il y a
pourtant un autre chemin et c’est le chemin de la conscience ou de la
présence. Peut-être est-ce l’une des pratiques spirituelles les plus
fondamentales ou la plus fondamentale : être capable de séparer
l’histoire de la situation. Et si possible, autant que possible, laissez
tomber l’histoire et soyez simplement présent à ce moment tel qu’il est.
Et, bien
sûr, fait incroyable, ce moment est tout ce qui est à jamais. Toute
votre existence se déploie en ce moment présent et en tant que ce moment
présent. En d’autres termes, il est toujours maintenant. Il n’est
jamais… non maintenant. Toute votre vie est maintenant. Quoi qu’il se
soit produit dans le passé, cela s’est produit dans le moment présent,
dans le « maintenant ». Et quand vous vous le rappelez, vous vous le
rappelez maintenant. Quoi qu’il arrive à l’avenir, cela ne se produira
pas dans le futur, cela aura lieu dans le « maintenant », parce que
lorsqu’advient le futur, ce n’est plus le futur, c’est le « maintenant
».
Quand vous pensez
à l’avenir, c’est une pensée dans le moment présent, dans le «
maintenant ». Donc, la vie et maintenant, votre vie et le maintenant
sont inséparables. Et il y a un pouvoir énorme contenu dans le
maintenant, ce qui veut dire contenu en vous, ainsi qu’une sensation
profonde de vie un état d’être, ce qui est bien au-delà de ce que nous
appelons conventionnellement le bonheur. Ce n’est pas le bonheur, c’est
plus profond.
Mais pour le
trouver, il vous faut être défié par la vie et c’est ce qui se passe
maintenant collectivement, pour des millions de gens. Sur le plan
personnel, tout un chacun est également provoqué de façon épisodique.
Mais maintenant, c’est collectivement que nous sommes défiés. Nous avons
besoin de nous éveiller, de nous éveiller du penser inconscient, de
l’identification totale au mental pensant, lequel est conditionné par le
passé.
Et nous avons
besoin de nous rendre compte qu’il y a en nous, en vous, une autre
dimension qui a toujours été là, mais qui a été ignorée, peut-on dire.
C’est la dimension de la conscience, la conscience sans pensées. Vous en
avez probablement fait l’expérience en maintes occasions, de façon
brève, par exemple quand vous êtes engagé dans une activité qui réclame
que vous soyez absolument présent : faire de l’escalade, dans la
montagne, certaines activités sportives. Là, vous devez absolument être
présent. Il y a une conscience là et non plus le penser conceptuel. Il
n’y a pas le temps pour penser.
Il
y a une chose étrange, cette conscience est une identité plus profonde.
La conscience que vous êtes, vous libère ultimement de vous-même, de
votre soi limité, de votre soi conditionné, le sentiment du soi fabriqué
par le mental. C’est tout ce que connaissent la plupart des gens. Mais
il y a bien plus rattaché à vous. Il y a en vous une identité plus
profonde et cette identité est la conscience elle-même. C’est la
conscience non conditionnée elle-même. Et ce n’est pas difficile d’en
faire l’expérience, de s’en rendre compte. Mais les gens ont besoin
d’être défiés pour y être amenés et c’est pourquoi ce à quoi nous sommes
confrontés actuellement peut représenter une grande aide.
Il y a donc cette pratique : «
Comment puis-je vivre cette expérience sans rajout mental ? » Vous
pouvez alors connaître le pur état d’être de ce moment dans lequel il
n’y a pas de souffrance. Il n’y a que l’état d’être de ce qui se passe,
parce qu’ultimement, toute la souffrance n’a pas été créée par la
situation, mais par l’histoire mentale. Or, cela, vous ne le saviez pas
dans la mesure où la plupart des humains l’ignorent. Ils ne peuvent pas
séparer la situation de l’histoire qu’ils se racontent.
Donc, à
chaque fois que vous vous sentez malheureux, rempli de peur, que vous
vous sentez déprimé, avec du ressentiment ou de l’apitoiement sur
vous-même, utilisez cela comme un signal pour vous réveiller. Dites-vous
: « OK, comment cela arrive-t-il ? D’où vient ce sentiment de
souffrance, sous quelque forme que ce soit ? Qu’est-ce qui le provoque ?
»
Et vous êtes alors de plus en plus
conscient de ce qui se passe dans votre mental pensant. La conscience
est une dimension plus profonde. Vous pouvez dire plus profonde ou plus
élevée, ça n’a pas d’importance. C’est une dimension plus profonde que
l’activité mentale, laquelle est aussi la conscience. Toute pensée est
une forme que prend la conscience. Mais avant cela, il y a un domaine
infini de conscience. De la même façon, une ride à la surface de l’océan
– prenons-la pour une pensée – n’est qu’une expression fugace d’une
réalité sous-jacente beaucoup plus profonde.
Vous vous
éveillez donc à cette identité plus profonde en vous rendant compte de
la différence fondamentale entre ce qui est et ce que le mental a en
dire à son sujet. Ainsi, de plus en plus, vous devenez capable de vivre
les situations avec le pouvoir de votre présence. Vous faites face aux
situations avec le pouvoir de votre présence. Ce n’est pas la vôtre,
mais formulons les choses ainsi. Vous y faites face avec le pouvoir de
votre présence, lequel est la vraie intelligence, au lieu d’être dans la
réaction et de vous plaindre de ce que vous vivez.
Beaucoup de
l’activité mentale inutile, des histoires, de « l’excédent de bagages »
beaucoup de tout cela, comme vous avez pu le remarquer, c’est de la
lamentation. Vous pouvez vous lamentez au sujet de la vie, au sujet
d’autres personnes dans votre entourage, au sujet de toute l’injustice,
de la façon dont la vie vous traite. Vous pouvez vous plaindre de tout,
des politiciens, les possibilités sont infinies ! Toute histoire que
l’on se raconte comporte l’élément « lamentation ».
Tout cela n’est pas plaisant, mais le
faux sentiment du soi, l’ego, le « moi », aime se plaindre, parce qu’il
a alors un sentiment renforcé d’identité, d’une identité fictive. Il
adore donner tort aux autres, considérer que toute circonstance ne
devrait pas être : « Cela ne devrait pas arriver, c’est un scandale ! »
Or, il se trouve que cela arrive. « Cela ne devrait pas arriver », c’est
l’histoire racontée. C’est ce qui vous rend malheureux dans la plupart
des cas, peut-être dans tous les cas. C’est l’histoire dans la tête et
ce n’est pas la situation. La situation est telle qu’elle est.
Quand vous
vous rendez compte de cela, vous êtes de plus en plus capable de faire
face à toute situation. Elle se produit toujours dans le moment présent,
le seul endroit où quoi que ce soit peut arriver. Vous y faites face
telle qu’elle est, dans le « maintenant », avec le pouvoir de votre
présence. Et si une action est requise, vous passez à l’action. S’il
n’est rien qui puisse être fait, vous laissez être ce qui est. C’est tel
que c’est et vous n’en êtes plus malheureux. Vous passez au-dessus, pour
ainsi dire, et vous n’êtes plus à la merci de ce qui se passe ou de ce
qui ne se passe pas autour de vous.
Oui, c’est super quand de belles choses arrivent et ce n’est pas si bien
quand des choses déplaisantes se produisent, mais cela ne vous touche
plus profondément, parce que vous avez déjà accès à une dimension plus
élevée en vous-même. Donc, vous n’êtes plus à la merci des conditions.
Tant que vous êtes à la merci des conditions, la vie est très
frustrante, parce que les conditions ou les situations dans lesquelles
vous vous trouvez ne sont jamais très longtemps satisfaisantes. Et la
plupart du temps, elles sont insatisfaisantes. La plupart du temps,
elles vous provoquent, parce que la vie n’est pas là pour vous rendre
heureux, le monde n’est pas là pour vous rendre heureux. C’est là pour
vous éveiller, pour vous rendre conscient. Comment cela se fait-il ? La
vie le fait en vous défiant, en vous provoquant. Et elle le fait
maintenant.
Ainsi, à mesure
que vous pouvez laisser tomber les histoires inutiles qui vous font mal,
vous devenez automatiquement présent à ce qui est. Peut-être
comprenez-vous alors ce que voulait dire Shakespeare : « Rien n’est bon
ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l’on en pense ».
Merci, je vous reparlerai bientôt. En
attendant, je vous prie d’essayer, de pratiquer et de voir ce qui se
passe. Merci !
Conférence
Indications de lecture:
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H,
I,
J,
K,
L,
M,
N,
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P, Q,
R,
S,
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