Textes philosophiques

Serge Carfantan      le nihilisme passif


         On peut parler de nihilisme passif, pour désigner le phénomène collectif mou, vague, collant, insipide et dépressif de dépréciation constante des valeurs supérieures. Le règne des turpitudes, du vulgaire, du trivial et de la dérision systématique qui ne laisse rien debout et vampirise l’énergie de tout ce qui peut avoir un sens. « Bof ! A quoi bon… » On parlera alors de « crise du sens », de « perte des repères », et un sociologue a donc eu la bonne idée de désigner l’ère postmoderne comme L'Ère du Vide. Mais le nihilisme passif n’est pas spectaculaire, il n’a même plus de doctrine pour se justifier. Il est rampant, insidieux, surtout quand il est partout présent et que personne ne le remarque. Ce n’est pas l’apocalypse de la destruction du monde dont parle la religion. Il n’exclut pas l’aisance matérielle, il n’exclut pas la frénésie de l’action, ni la fuite éperdue dans le divertissement.
      Il est parfaite­ment compatible avec la société de consommation, mais il transporte un vide abyssal dans tout ce Philosophie de la moralequ’il touche. Il ne fait qu’orienter toutes les activités vers le bas et vers le vide. Le nihilisme passif, c’est l’empire grandissant et totalitaire de l’inertie et de la négativité, son glissement fatigué sur la pente de la mort, dans une transformation qui n’a d’autre finalité qu’une régression à l’état inerte. A dire vrai, partout où se rencontre les tendance régressive, le nihilisme passif est à son œuvre. Le nihilisme passif est là quand tout se consomme avant même que d’avoir été utile, quand le consommer-jeter devient omni­présent. Quand l’indifférence aux conséquences nocives de l’action est telle, que tout-le-monde-s’en-fiche et que le laisser-aller et le laisser-faire sont devenus la règle. Quand la licence se prend pour la liberté. Quand il n’y a plus de règles. Quand l’indifférence est partout. Quand on consomme l’amour, pour le jeter aussitôt, comme on mange des frittes en jetant le papier sur la pelouse. Quand on consomme des savoirs, sans jamais s’y intéresser et que le professeur est lui-même devenu une sorte de distributeur automatique. Quand la littérature ne fait que servir des lieux communs sur ce qui se dit et se fait, dans une totale complaisance, en jouant seulement sur les effets. Quand l’art ne produit plus aucune nourriture pour la sensibilité, mais ne fait plus que jouer dans la surenchère de la provoc’. Quand le savoir ne nourrit plus l’esprit, mais remplit la mémoire et ne produit plus que l’ennui. Quand le climat intel­lectuel devient morose et le reste, et même se complait dans la morosité en prenant des airs.
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  Philosophie de la Morale   ch. V,  p. 118-119.

Indications de lecture:

    Le chapitre s'intitule : la primauté des valeurs.Le PDF de la leçon est diponible. PDF de la leçon


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