Dialogues et commentaires sur la leçon : Vivre et exister
Édouard Manzoni
D'après Aurobindo; Sachichananda : Existence - Conscience Force - Félicité
Immortalité - Éternité Infinité - Amour être - temps espace - avoir Le tout
ne faisant qu'un, évidemment ! Et nous sommes Cela, et toutes choses; sur
différents plans…. Mais nous l'ignorons…
Maud Dartier Q. La vision de Sartre est trop pessimiste. Si on le suit, tout est absurde.
R. S'il vous plaît, essayons en philosophie d'éviter de moraliser les problèmes. Demandons nous surtout si ce point de vue est juste, vrai. Demandons nous sur quel type d'expérience il s'appuie. La question est plutôt de préciser exactement les raisons qui justifient la conception sartrienne de l'existence.
Blanche Konrad C'est tout de même péjoratif, pessimiste.
R. "péjoratif" n'est pas le mot juste en a matière. "pessimiste" est assez exact pour qualifier cette représentation de l'existence. Mais la question de fond, c'est, est-ce vrai? Quelle vérité y a-t-il dans dans cette représentation?
Alice Verland C'est difficile d'y adhérer. N'est-ce pas la peur qui entre en jeu?
R. Peur de quoi? Et pourquoi donc adhérer?Ce n'est pas un credo religieux. Croire ne nous intéresse pas. comprendre nous passionne. Maintenant examinez votre propre réaction. Nous avons peur d'une opinion qui vient directement nous attaquer nos opinions. De quoi avons nous peur ici? Nous avons peur surtout d'une représentation qui voudrait terroriser, une pensée terroriste qui chercherait à insulter notre existence en la contraignant à reconnaître qu'elle est vide de sens. Vous devez démêler tout cela d'urgence.
Hélène Joie Q. Nous avons vu que le projet nous empêche d'exister ici et maintenant Pourquoi Sartre donne-t-il comme solution le projet comme but pour exister? Le projet ne serait-il pas une illusion d'exister?
R. Le pro-jet me pro-pulse en avant dans le temps, vers un futur que j'anticipe, je prévois, je fantasme. Il m'arrache au maintenant et me tire vers ce qui adviendra, mais seulement en tant que je me pense ce futur. Le mental fait paraître le futur désirable et créer une motivation, donne une direction à une poursuite, à la poursuite d'un désir et du coup, j'ai une proie à saisir et le futur me tire en avant. Maintenant, toute cette représentation de soi dans le temps psychologique, que vaut-elle? Y a-t-il la moindre réalité dans tout cela? Je n'existe que dans le présent. Le futur n'existe pas. Même si un projet me tient à coeur, de toute manière, il se construit maintenant. "Je voudrait mon bac" est une pur représentation. Je prépare mon bac maintenant est réel. Vivre par procuration dans des projets est complètement illusoire et cette illusion repose sur l'illusion du temps psychologique.
Nolwen Le Serrec . Nous sommes là, cela explique le besoin de chercher une raison d'exister, autrement, seule la mort pourrait alors nous sauver!
R. Être là est complet n'est-ce pas? Un maître zen avait l'habitude de ramener l'attention de ses disciples en posant cette question : en ce moment, que manque-t-il? Si je suis ailleurs qu'ici, je vais trouver toutes sortes d'échappatoires en disant que ce ceci ou cela me manque, donc un "besoin" qui me donnera une raison d'exister pour le futur. Si je suis vraiment ici et maintenant, il n'y a pas besoin de chercher une raison d'exister. Tout ce qui est nécessaire est contenu dans le présent. Cela veut dire que la Vie est expansion de soi dans le présent de l'Être et que dans le présent de l'Être, il y a une perpétuelle nouveauté, une fraîcheur, une plénitude qui n'a pas besoin de raison. La rose est sans pourquoi commente Heidegger.
Jennifer Révolté Q. Est-ce que c'est le néant si il n'y a pas d'existence?
R. On m'a dit que dans la rue d'en face il y avait un manoir. Je vais voir. Rien. Le fameux manoir n'existe pas. Ce n'était qu'une idée. "n'existe pas" est une simple pensée figurant autre chose que ce qui est. L'Être est plein et complet. L'esprit invente ce qui devrait être et n'est pas de fait. Du néant. Il fabrique du néant par déception devant l'Être qui lui est plein et entier. "Le père Noël n'existe pas"... Comme c'est décevant! ...et je découvre enfant l'inexistence liée au désir. Je commence à appréhender du néant.
Emilie Molders Q. Est-ce que Sartre fait une critique du comportement dans l'illusion de l'étiquette ou de personnage ou est-ce qu'il pense vraiment cette thèse?
R. Ce n'est pas une critique, ce n'est pas du tout une dénonciation, comme ce serait le cas chez Rousseau. Le garçon de café joue à être garçon de café, parce que c'est sa manière de se donner un sens d'être à travers un rôle social. Il existe seulement sous le regard des autres comme garçon de café. Son personnage lui donne un sens. Il se sent exister dans ce rôle, justifié avec une raison d'être. Et si il est mis au chômage, il va sombrer dans l'absurde, car il va perdre ce qui donnait un sens à son existence. On peut bien sûr répondre, et c'est ce que nous avons déjà vu, que je ne suis pas le personnage. Le personnage est une identité fictive. Me "prendre" pour un personnage c'est devenir factice. Mais Sartre ne va pas du tout dans ce sens. Pour que je sois en deçà de tous les rôle, il faut que ma personne transcende cette identité d'objet. Le Soi est en-deçà de toute identification. Mais Sartre dénie la plénitude de l'intériorité (déglutition de lavabo) et ne voit dans la conscience qu'un courant d'air d'extériorité. Alors il est contraint de penser que le personnage me fait exister et me donne une substance : on me regarde, donc j'existe!
Max Arbieu Q. Je suis d'accord sur le jeu des masques, mais quant à renier notre propre existence non!
Nolwen Le Serrec C'est à nous de construire notre propre existence.
R. Mais vous êtes non? Vous êtes déjà construit. Vous n'êtes pas un champ de ruine, mais un chateau-fort très compliqué avec de nombreuses pièces. Que voulez vous donc? Agrandir encore la construction pour demain? Ou bien plutôt habiter votre propre maison?
Habiter votre existence.
Max Arbieu Q. N'est-ce pas une obligation d'exister dans la peau d'un personnage?
R. Non. C'est justement ne pas exister que de se prendre pour une fiction. Ce qui est vrai par contre, c'est que les situations de la vie nous investissent d'un rôle particulier qui fait de nous : sous le regard d'autrui un personnage. Le petit garçon ne voit pas l'être humain, il voit le père. Le lycéen ne voit pas la personne, il voit le professeur. Ils fabrique une identité d'objet, une image de la personne et ne pensent la relation que dans l'étiquette. Mais qui suis-je ? Je suis est Présence sans objet. Je suis attention et disponibilité au présent. Cette histoire de personnage ne me concerne pas dans ma relation à la Vie. ce qui me concerne, c'est la réponse juste à chaque situation d'expérience. Dans la tradition indienne on dit souvent que le personnage de "maître" est inventé par celui qui se prend pour un disciple. Le maître authentique (pas celui qui se prend pour un maître) lui est spontanément ce qu'il est, installé dans son état naturel.
Emilie Bardet On est des caméléons qui changent de couleur. Le but de notre existence, c'est de chercher qui ont est.
R. Ce qui signifie : je suis peut-être ignorant du sens de mon existence, mais je ne suis pas du vent qui peut prendre n'importe quelle forme. Mon essence et venue à l'être avec mon existence, mais je suis tellement coupé de ce que je suis que je me suis égarée. Coïncider avec Soi, c'est retrouver mon état naturel et au sein de cet état tracer ma route, qui regardée en arrière me montrera qu'effectivement je ne suis pas ici pour rien.
Victor Moreau Au fond ne faudrait-il pas prendre Sartre sur le plan d'une critique plutôt que d'une constatation?
R. C'est une lecture. Elle n'est pas fidèle à l'auteur. Elle tournerait au contresens. A ce moment là, partez de Stephen Jourdain ou de Krishnamurti : vous y trouverez l'exposition de l'absurdité de nos existence et le dépassement immédiat de l'absurde.
Emilie Bardet A partir du moment où nous sommes conscients de vivre dans l'absurde, en sortons nous?
R. Sartre vous prouve que non. Sa vision est bloquée dans l'absurde : ce n'est pas de la lucidité que nous avons chez Sartre, mais du cynisme. Le cynisme est une complaisance dans une représentation négative. La lucidité par contre libère immédiatement.
Victor Moreau On dirait que Sartre nie la valeur du présent en projetant l'existence dans le projet. Il fait comme si notre substance était prise à un autre, à autrui, pour que nous ayons le sentiment d'exister! On dirait aussi qu'il nie l'amour et l'amitié.
R. Très juste. C'est exactement ce qui m'a frappé en lisant Sartre.
Max Arbieu Toute de même, une personne qui serait seule sur une île sans rien, ne serait-elle pas entière?
R. C'est opposer à du réel un mythe. C'est accuser la société en général du malaise de l'existence. C'est en rester à une pure fiction pour se dégager du réel. Je ne suis pas d'accord pour aller dans cette direction.
Nolwen Le Serrec Une dépression peut-elle arriver en dehors de la déception ou de l'échec?
R. Donc, est-ce que l'échec ou la déception de sont que des causes occasionnelles pour précipiter ce qui est latent? Un état de malaise? Oui. Car ce qui est en jeu, c'est un rapport radical de soi à soi de la vie.
Max Arbieu Pourquoi une prise de conscience de la gratuité entraînerait-elle forcément la nausée?
R. Il n'y a pas de rapport nécessaire. La gratuité de la Manifestation, c'est justement ce déploiement libre de l'univers, c'est la magie de la Manifestation de ce qui est. La nausée sartrienne, ce n'est que le regard déçu qui en reste à un simple fait et qui compare avec autre chose.
Lisa Quillacq. Comment peut-on allier la notion de "vivre pleinement l'instant présent" et celle de "but". Du moment où je ne regarde pas l'avenir, concevoir un but?
R. Nous verrons plus loin la signification du présent (cf cours sur les dimensions temporelles). Mais si vivre pleinement est synonyme de être, le but, il est déjà là. Je suis. Le but est un concept que le moi se donne pour atteindre un objectif dans le temps. Mais attention, en réalité, le futur, je le construis
maintenant. Donc dans le présent.
Emilie Boisson Si nous ne trouvons pas de solutions à nos problèmes dans la dépression et que wsedivertir, c'est fuir, comment peut-on faire face à eux et les résoudre ?
R. Sans fuir, aller jusqu'au bout de la compréhension lucide pour défaire les noeuds compliqués que nous avons nous-mêmes noués. Le problème, il est dans la tête. Il se dénoue dans la tête, dans le mental.
Alice Marvier Comment Rousseau peut-il parvenir à ne pas penser ? Quand on ne pense pas, on prend toujours conscience de quelque chose qui se produit dans notre esprit. La pensée est perpétuellement en mouvement. On se rend compte que l'on ne pense pas, quand on pense qu'on ne pense pas, alors, la pensée travaille non? comment arriver à stopper la pensée ?
R. Magnifique question. Le mental n'est pas toujours actif. Ce serait faux de le croire. Dans le sommeil profond, la pensée est suspendue. Dans l'état de veille, il y a aussi des blancs : la suspension de l'étonnement, de la joie, ces moment où l'esprit est tout entier sensible, sous le charme d'une musique ou d'un paysage. Les constructions du mental, c'est une chose, l'état de présence sensible en est une autre. Vouloir ne pas penser est assez contradictoire, car le vouloir est la pensée même. On tourne en rond dans l'effort et l'état de veille. Il reste qu'il existe des moyens qui spontanément apaisent tout de même l'esprit sans que cela soit exactement un effort. C'est ce qui est pratiqué dans les techniques du yoga, dans les pranayama (techniques de souffle) et les formes de dhyana, la méditation.
Lisa Quillacq. Comment
peut-on atteindre le sentiment d'être de façon continue, sans pratique ? Est-ce possible dans la société occidentale ?
R. L'état de l'être est toujours présent (c'est nous qui le quittons toujours par notre agitation perpétuelle). L'état de l'être ne s'atteint pas. Il n'y a pas de distance. C'est l'idée même de distance qui est fausse. Soyez ! Soyez vous-mêmes. Tout de suite. Les techniques ne peuvent pas créer l'état de l'être (cela ne veut rien dire), elles servent qu'à purifier le mental et c'est tout. Une sorte d'hygiène du mental, comme il y a une hygiène du corps.
Pour ne pas surcharger ce fichier, certaines questions ont été déplacées vers les dialogues sur les dimensions temporelles.
Avec la participation de Maud Dartier, Blanche Konrad, Alice Verland, Hélène Joie, Nolwen Le Serrec, Jennifer Révolté, Emilie Molders, Max Arbieu. Emilie Bardet, Victor Moreau, Emilie Boisson, Alice Marvier, Lisa Quillacq,
Nicolas Belhassen, Édouard Manzoni.
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