Leçon 16.   Les dimensions temporelles   english flag        pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Le temps est une entité étrange. Nous avons constamment affaire à lui, mais nous avons beaucoup de difficulté à dire ce qu’il est. Comment le temps est-il donné dans la succession des vécus de la conscience ? Pour répondre à cette question, nous devons étudier la représentation très courante du temps, celle qui le décrit comme une ligne, une demi-droite remontant dans le passé, marquant un point qui est celui du présent et se perdant dans le futur. Nous appellerons dimensions temporelles les repères que forment passé, présent et futur sur la ligne du temps. La métaphore de la ligne suggère que passé et futur ont des similitudes (demi-droites), ils ont en commun une réalité qui serait l’infinité de la durée. A l’inverse, le présent ne semble qu’un point, il n’est qu’un rien entre deux infinis qui sont le tout de la durée.

    Faut-il prendre au sérieux cette représentation linéaire du temps dans ce qu'elle nous suggère sur la consistance du passé, du présent et du futur? Nous dit-elle quelque chose de juste sur la nature des trois dimensions du temps ? Quelle réalité devons nous accorder au passé, au présent et au futur ? Faut-il considérer que la ligne du temps établit le rapport véritable des dimensions temporelles ? Ou bien faut-il voir dans cette métaphore une trahison de l’expérience, une sorte de traduction abusive du temps dans des valeurs de l’espace?

*  *
*

A. Les lueurs du passé

    Comment le passé advient-il à ma conscience ? A travers mes souvenirs. Sans un acte de rétention du passé dans la mémoire, il n’y aurait pas de conscience du passé. Dans le passé, l’intentionnalité de la conscience prend une forme spécifique, celle du rapport à un objet situé dans le passé sous la forme du souvenir. De même que la perception est la donation en personne du présent, le souvenir est une donation en personne du passé. Quand je me souviens de mes vacances chez ma grand-mère, ma conscience se rapporte bien à un objet, elle est conscience-de-quelque-chose, elle n’est pas conscience de rien. Pourtant cette « chose » n’est réelle que pour ma conscience, en tant qu’objet de conscience passé, sous le mode de ce-qui-a-été. Ce n’est pas cette table sur la quelle je suis en train d’écrire en ce moment, la table que je perçois. La table se dévoile à moi sous plusieurs aspects, comme tous les objets de la perception, elle appelle mon regard vers le Monde du présent.Un souvenir au contraire me fait oublier le monde présent. Pour qu’il m’occupe entièrement, il faut que je relâche la tension de l’action et de mes préoccupations présentes, de la vigilance, pour inviter ce qui a été, et qui en même temps n’est plus. « Autrefois, quand nous nous promenions sous les noyers... ». Mais ce temps là n’est plus. (texte)

    La conscience du passé suppose que dans le maintenant-vivant de l’expérience, s’opère une ré-tension du vécu. Celui-ci, au lieu de disparaître dans le néant, s’enroule dans les limbes de la mémoire, de sorte qu’il suffit parfois d’un simple motif (un collier, un parfum, une phrase) pour que le souvenir soit rappelé, avec la vie qui était la sienne à ce moment là. Ce qui est remarquable, c’est que le souvenir porte en lui une intimité qui lui est propre. Le souvenir en restituant ce-qui-a-été, introduit dans l’histoire personnelle du moi, il nous confie à la dimension de l’identité qui est celle de l’intimité de l’ego. Ceci nous montre que le passé est d’abord conscience et non une « réalité » au sens ordinaire. Ainsi, Saint-Augustin écrit : « quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n’est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d’après ces images qu’elle a fixés comme des traces dans mon esprit en passant par les sens. Mon enfance qui n’est plus est dans un passé qui n’est plus, mais quand je me la rappelle et me la raconte c’est son image que je vois dans le présent, image présente en ma mémoire».

    Ce qui est habite seulement le présent, car la réalité se donne dans le présent. Le passé était la réalité au moment où il était présent, mais maintenant, il n’est plus ce présent qui n’est plus. Il n’y a dans mes souvenirs qu’un passé qui est plutôt du côté de l’irréel. Le présent d’autrefois a chuté du manifesté, dans le non-manifesté. Ce que je nomme passé est ce non-manifesté. Le passé n’existe pas en tant que réalité contre laquelle je pourrais buter à même la perception. Et pourtant il nous parait si important et si réel ! Comment un tel prodige est-il possible ? Comment ce qui n’existe pas peut-il nous sembler tellement réel ? N’est ce pas parce que c’est ...

    ---------------Le passé est un mode qui appartient en propre à la conscience (texte). Saint Augustin parle dans son langage « d’extension  de l’âme ». Il ne nous est pas difficile de nous représenter le passé parce qu’il est structuré dans le présent, à travers une rétention immanente au flux de la conscience. Nous voyons que nos pensées viennent et s’en vont, que nos pensées ne sont que de brefs éclairs, que nos émotions sont passagères. Nous voyons que le monde change. Notre expérience intérieure la plus primitive nous indique que le vécu est pris dans un flux et qu’il y a une perpétuelle succession des vécus. Je sais par là que je change et que je change toujours; aussi, quand je contemple mon image dans le passé, je me vois différent. Le temps créé de l’altérité, le temps engendre une continuelle métamorphose. Je ne reconnais dans le passé que certains moments, des événements. Je mesure mon passé au poids et à la densité des événements qui y figurent. Quand le passé paraît pauvre, il aura sur le moment été fait d’ennui, il aura été lourd d’un temps qui ne s’écoule pas. Regardé rétrospectivement, cette période, même longue, ne comptera pas, car elle ne comporte pas assez d’événements pour que je puisse en faire un passé vraiment signifiant. Une période brève, mais marquée d’une densité d’événements, paraîtra rétrospectivement plus longue. Ce n’est pas la durée chronologique qui importe, c’est la densité du vécu. Ce qui fait le passé, ce n'est pas la « réalité », ce qui fait le passé, c’est la présence des souvenirs. C’est parce que le souvenir est d’abord un mode de conscience qu’il est à sa manière si déterminant, si lourd, si important dans une destinée individuelle. Ce qui pèse sur la conscience, ce n’est pas l’irréalité qui justement ne peut avoir aucune influence, ce qui pèse, c’est la conscience elle-même, dans ses traces déposées dans la mémoire. Les traces du passé sont très importantes, puisqu’elles contribuent au sentiment de la continuité individuelle (texte).

   

--------------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier

Questions:

1. Est-ce la réalité du passé qui pèse dans le ressentiment et les remords?

2. La formule "mourir au passé" implique-t-elle nécessairement le reniement du souvenir?

3. La relation que l'homme entretient avec le futur ne dépend-elle que de sa maturité?

4. Qu'est-ce qui dans al nature du temps peut bien faire que le futur reste-t-il imprévisible?

5. Les qualités de visionnaires de certains écrivains, l'échec de la voyance nous invitent à concevoir le temps d'une manière originale. Laquelle?

6. Faut-il inclure le présent dans la souffrance que produit le temps psychologique?

7. Faut-il considérer le présent comme quelque chose d'évanescent, de flottant, d'inconsistant ou bien est-ce qui se manifeste en lui qui est par nature évanescent, flottant et inconsistant?

Vos commentaires

   © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
Accueil. Télécharger. Notions.


Le site Philosophie et spiritualité autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est qu'un brouillon. Demandez par mail la version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la préparation de la leçon.