Dialogues et commentaires sur la leçons: Humanité et culture
Elise Infray
L'homme naturel, ce n'est pas l'homme de la guerre du feu?
R. Non. Le terme "homme naturel" est un concept précis en philosophie politique et particulièrement chez Rousseau ou il désigne l'homme tel qu'il est sorti des mains de la Nature indépendamment de ce que la société à fait de lui. L'homme naturel s'oppose alors à l'homme social. Ne pas confondre donc l'enfant sauvage, (Victor de l'Aveyron), l'homme préhistorique, (l'homme de néandertal) le mythe de l'homme naturel du cinéma (Tarzan).
Blanche Konrad
Qu'est ce qui distingue le mythe de l'homme naturel de l'enfant sauvage?
R. Johnny Weissmuller dans le rôle de Tarzan ressemble-t-il vraiment à un enfant sauvage ?
Hélène Joie
Non. Il a de la gomina dans les cheveux, il parle un anglais impeccable, il a des bonnes manières!
R. Bref, c'est un américain affublé en sauvage. Une figure imaginaire.
Elise Infray
Il y a tout de même une différence entre le Tarzan des premiers films et Greystroke.
R. Oui. Un peut moins mythique, artificiel, plus proche de l'enfant sauvage.
Alice Verland
Qu'est-ce qu'on y cherche en fait?
R. Cette idée d'un homme qui vit seul en harmonie avec la Nature nous parle profondément. Elle est tellement loin de notre indifférence à la Nature! Nous nous sentons parfois tellement factice dans une vie si dénaturée, qu'il y a en nous un besoin de retrouver un contact brut avec la Nature. Alors Tarzan nous touche, il séduit notre imaginaire.
Blanche Konrad
Ce que Rousseau recherche, ce n'est pas une sorte de pureté?
R. Oui. Je dirais plutôt l'authenticité. Il y a une soif d'authenticité une nostalgie de la simplicité dans toute l'œuvre de Rousseau, alliée avec une mystique de la relation à la Nature. C'est en lisant les Rêveries du promeneurs solitaire que l'on comprend l'esprit qui vit dans un texte aussi sec que Le contrat social.
Elise Infray
Mais pourquoi cette critique de la culture? C'est quand même choquant de la part d'un écrivain.
R. Les écrivains ne sont pas là pour défendre un dogme de ce que doit être la culture, comme un prêtre qui défend le dogme. Rousseau voit l'ambiguïté des constructions de l'esprit. Le mental peut le pire comme le meilleur. Il peut élever, il peut corrompre. Le mental n'est pas le cœur, ce que Rousseau appelle la voix de la conscience .Il est le casuiste habile qui trafique aisément avec les sentiments.
Jennifer Révolte
La culture est elle une aliénation de l'humanité?
R. Dure dure cette question!! Accuser la culture d'aliéner l'homme c'est oublier que c'est par elle qu'il découvre son humanité. On ne peut pas avoir de jugement aussi tranché. Disons plutôt qu'il y a culture et culture. La culture peut travailler au développement de l'humain comme travailler au conditionnement de l'humain. Tout dépend l'intention qui la porte. Le drame terrible vécu par les intellectuels qui ont traversé les camps de concentration est là. Ils ont vu qu'il était possible d'écouter Mozart d'aimer la poésie et de torturer en même temps. Primo-Lévi n'a pas supporté cette idée. Satprem est revenu intérieurement détruit. Nous voudrions que la culture sauve l'humanité et nous avons vu que la culture et la barbarie peuvent aller ensemble. C'est terrible. Il n'y a qu'une solution claire à un tel problème, il faut que la culture ait une dimension spirituelle vraie, qu'elle soit portée par une ouverture de la conscience, qu'elle favorise l'expansion de la conscience. En bref, je dirais que la culture doit être centrée sur la connaissance de soi et conduire à la Présence. Le reste n'est que verbiage intellectuel.
Elise Infray
Le langage modèle-t-il inconsciemment une culture?
R. Les linguistes vous diraient oui. La langue préforme selon une façon de penser et de voir le monde, c'est un aspect du relativisme linguistique. Ce qui est certain, c'est que nous recevons des normes et que langage y joue un rôle considérable. Nous vivons dans les mots et le langage est le coeur d'une civilisation.
Hélène Joie
Un homme peut-il s'auto-éduquer ou a-t-on besoin toujours d'un autre pour être éduqué?
R. Pendant une longue période d'apprentissage, il semble nécessaire qu'une génération fasse l'éducation de la génération suivante. Cependant, une fois devenu adulte, le problème devient très différent. Nous portons sur nos épaules la responsabilité de notre éducation. Personne ne peut avoir pour nous ce goût d'apprendre, de découvrir, cette curiosité, cette ouverture d'esprit qui rend possible une véritable culture. Nous devons être notre propre lumière et à ce moment là effectivement on peut parler d'auto-éducation. Le Soi instruit le soi à travers l'expérience consciente de soi. Et quand l'intelligence est éveillée, tout peut instruire, même les plus petites choses.
Blanche Konrad
Le métissage des culture n'est-il pas la clé de la tolérance et de l'amour d'autrui?
R. Le métissage n'est pas un moyen, c'est un fait, une réalité qui est là devant nous. Maintenant, je ne vois pas le lien nécessaire avec l'amour. Quand on aime vraiment, on va au-delà des différences. L'autre n'est plus "autre". Quand à la tolérance, j'avoue que le terme est assez trouble. Celui qui tolère éprouve une sorte de gène, mais il la surmonte. La tolérance est un produit de la pensée, pas de l'amour. L'amour permet d'accepter et de comprendre. La pensée invente la tolérance pour tisser une barrière entre moi et l'autre que je pense différent et que je me résigne à "tolérer" par un simple concept, sous la forme d'un devoir. L'amour est plus stable, plus profond, moins ambigu que la tolérance. cf. à ce sujet David Bohm Pour une révolution de la conscience.
Stéphane Caquot.
Au terme d'une succession d'affects mal maîtrisés (haine, agressivité...), j'en suis venu à dénier la qualité d'être humain à autrui (croire qu'il n'est pas un être humain comme moi, parce qu'il a une couleur de peau différente (de la mienne)...). J'ai vécu passivement un conflit de deux croyances contradictoires: -autrui est un être humain comme moi (croyance subjective)et -autrui n'est pas un être humain comme moi(préjugé raciste)
R. Il n'y a pas de contradiction réelle, mais surtout une erreur de base. Autrui est un être humain désigne un de mes semblable dans le genre humain. Nous avons le même système nerveux, la même structure physiologique, cette base est commune à toute l'humanité et confère à l'homme des caractéristiques uniques qui le distingue nettement de l'animal. Un être humain, qu'il le veuille ou non, est créature mentale. Que l'on pense droit ou de travers, on vit toujours dans la pensée. Même dans la folie, l'homme n'est pas privé de la pensée, c'est même le contraire, il souffre de l'incohérence de sa pensée. A cet égard, les différences accidentelles n'ont que très peu d'importance. La couleur de la peau, ce n'est pas essentiel, ni la forme du cheveu ou sa couleur, ni celle du nez, ni celle des yeux.
Ce sont des particularités superficielles. L'autre a comme moi une pensée, des sentiments. Par sympathie, je peut très bien éprouver l'abattement, la tristesse de qui que ce soit. Il y a préjugé raciste quand? Quand je donne plus d'importance à la différence qu'elle n'en n'a en réalité. C'est curieux, mais la diversité est partout présente dans la nature et elle ne nous choque jamais. L'étrange, c'est que nous ne puissions pas la supporter dans le domaine humain! Parce que nous inventons "l'autre" complètement "autre", avec des concepts qui sont des boîtes où nous mettons les personnes. Celui dont le comportement est régi par une image de l'autre comme "c'est un juif", "c'est un arabe", "c'est un breton", "c'est un asiatique" pense dans la fragmentation. Il ne voit plus une personne, mais il voit un type conceptuel. Parce que la pensée détermine ce que je suis, le comportement suit. La pensée fragmentaire invente le racisme. On croit que l'on peut maintenir la fragmentation, alors on invente un autre concept, la "tolérance". Mais en réalité, il faut détruire la fragmentation et sentir que nous sommes en contact permanent avec la vie, avec une Vie unique qui circule dans tous les êtres. Quand vous sentez cette unité, la fragmentation n'existe pas et comme c'est une illusion, tout le reste s'effondre, y compris le racisme. Mais il faut entièrement rompre avec le conditionnement qui soutient les préjugés,
je suis dans le monde, très proche de chacun.
Éric Ferrand
Selon vous, Jean Jacques Rousseau pour décrire l'homme de l'état de nature
s'est il fondé sur des témoignages (récits d'explorateurs ayant côtoyé des
peuples "exotiques" ) et autres faits ou alors est ce le fruit d'un
raisonnement pur ?
R. Non, les récits d'explorateurs ne sont
là que pour une confirmation, la démarche est spéculative. Revenir à la
nature humaine dans son essence, avant qu'elle n'ait été déformée par
l'homme. C'est une démarche vers les origines qui a tout du mythe et
elle a été dénoncée justement comme telle. Rousseau n'est pas un ethnologue.
Il ne prend dans les récits de voyage que ce qui se rapproche de son
intuition des origine, l'Homme premier sorti des mains de la Nature. Voir la
leçon sur le mental évolutif.
Avec la participation de : Élise Infray, Blanche Konrad, Hélène Joie, Alice Verland, Jennifer Révolte, Stéphane
Caquot, Éric Ferrand.
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