François Lacoste
Bonjour, je viens de terminer la
lecture de votre texte intitulé “Le paradigme de la complexité” et bien
que j’aie bien aimé la mise en contexte philosophique et sa
transdisciplinarité, j’aimerais me permettre de corriger certaines erreurs
concernant la physique, et vous présenter à la fin certaines réflexions
complémentaires.
Ma spécialité est la
physique des systèmes dynamiques appliquées à la biologie. (Mon doctorat
est en modélisation de systèmes biochimiques et cellulaires, mes études
préalables étaient en
math et en physique ), ce qui est au coeur des
sciences de la complexités.
Tout d’abord
l’atome pris isolément n’est nullement un système complexe. Il
n’y a dans l’atome aucun feedback, aucune auto-organisation, aucune
structure dissipative avec une circulation d’information ou d’entropie et
surtout aucune propriété émergente (pas selon nos connaissances actuelles
à tout le moins). La physique de l’atome est paradoxalement beaucoup plus
simple que n’importe quelle science humaine !
Les
particularités de la physique quantique, de l’infiniment petit que l’on
commence à peine à découvrir (possible non-localité ou non-causalité mise
en cause dans l’effet EPR etc) n’ont absolument aucun rapport avec la
complexité. Ils découlent de la nature intrinsèquement
probabiliste de cette physique. Dans les sciences de la complexité, on
retrouve une notion omniprésente de modèles probabilistes, mais pas dans
le même sens. Ce sont des probabilités considérées sur des ensembles
statistiques comme par exemple en physique statistique “classique” (dans
laquelle loin de l’équilibre thermodynamique on voit émerger des
structures dissipatives comme vous le dites en parlant de Prigogine) . La
probabilité n’y est pas intrinsèque à ces théories, et les modèles peuvent
a priori être construits comme déterministes. D’ailleurs le chaos (effet
papillon etc. ) se retrouve dans des systèmes déterministes comme dans
l’exemple du système de Lorenz.
Je sais qu’on cite
parfois les incertitudes d’Heisenberg pour supporter l’idée que la
physique quantique prend en compte la perturbation d’un observation sur un
système étudié, et donc aurait un lien philosophique avec une pensée
proche de la cybernétique et des épistémologies constructivistes. Mais
c’était une interprétation qui est dépassée: ces relations d’incertitudes
reposent simplement et mathématiquement sur la conception ondulatoire et
probabiliste de la mécanique quantique. Ce type d’inégalités, presque
banales finalement, n’est donc pas spécifique à la mécanique quantique.
(L'article wiki me semble correct
http://en.wikipedia.org/wiki/Uncertainty_principle )
L’intérêt des
sciences de la complexité se trouve uniquement au niveau macroscopique:
quand un certains nombres d’entités sont en interactions d’une façon à
faire emerger un comportement irréductible: écologie, réseaux
biochimiques, sociaux, neuronaux etc. Et j’adore aussi le macroscope
de Joël de Rosnay qui y est pour beaucoup dans ma passion pour la
complexité.
La crise des fondements à
laquelle vous référez (les théorèmes d’incomplétude de Godel) ne font pas
à proprement partie des sciences de la complexité a priori (du moins pas
dans le sens où il me semble qu’on l’entend habituellement ). Mais elle se
rattache en effet à la pensée complexe dans la mesure où elle met en
exergue une limite irréductible au projet purement analytique et
positiviste, et annonce par là la nécessité des sciences de la complexité.
La notion d’incomplétude
nous parle de l’indécidabilité d’une théorie et cette notion
d’indécidabilité se pose en terme de complexité computationnelle
(difficulté de calcul).
A priori, il s’agit d’un
autre domaine que celui de la complexité telle qu’elle apparaît dans les
systèmes dynamiques physiques et biologiques. Le même terme recouvre des
notions a priori différentes dont il convient de souligner les
rapprochements et les distinctions.
Cette théorie de la
complexité algorithmique, liée à celle de la calculabilité en logique et
en informatique théorique ont récemment reçu de nouveaux développements et
des liens se tissent entre une calculabilité Super-Turing (c-a-d au delà
de l’ordinateur ) et les systèmes dynamiques continus (qui sont par
ailleurs des systèmes complexes au sens où on l’entend... Il y a un lien à
creuser ! ) (cherchez Bournez en France). D’ailleurs à ce sujet, il y a
des hypothèses computationalistes qui cherchent à fonder l’esprit (mind)
comme une propriété emergente irréductible “hyper-calculable” par nos
réseaux de neurones et notre corps. Ce qui autoriserait aussi à penser que
l’esprit, la pensée et peut-être la conscience pourraient se retrouver
dans d’autres systèmes .. mais ceci est de la spéculation. Les sciences
cognitives sont un des principaux domaines d’application des sciences de
la complexité.
Le lien apparent que vous
soulignez comme tant de philosophes entre la “fin des incertitudes” avec
Godel d’une part et d’autre part la mécanique quantique n’est pas fortuit.
Il s’inscrit dans une même histoire des sciences, un même renversement de
paradigme au sens Kuhnien, je suis d’accord avec vous, et cela me fascine,
mais tout dans ces “nouvelles sciences” ne se ramènent pas uniquement à la
prise en compte de la complexité .
D'autre part (et
brièvement), dans la pratique scientifique, les approches de la complexité
ne sont jamais "pures". La réduction analytique (qualifiée de cartésienne)
n'est pas rejetée en tant que telle. L'approche de la complexité est en
fait complémentaire à une analyse réductionniste modérée. Par exemple,
devant un 'gros' système complexe, le chercheur voudra réduire le système
à sa complexité irréductible. Il est inutile de vouloir étudier un système
trop "compliqué" si celui-ci ne produit pas un comportement
plus "complexe" qu'un autre plus petit. Donc on enlève des "complications"
jusqu'à ne conserver que ce qui est essentiel à la complexité. L'erreur
de l'analyse réductionniste pure était de réduire un système à ces
composants d'une façon qui détruisait la complexité du comportement
émergent.
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